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En République démocratique du Congo, un allié de poids dans la lutte contre la polio : 2ème partie – Les chevaux de Troie

Países
RD del Congo
Fuentes
UNICEF
Fecha de publicación
Origen
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Par Vincent Petit

PP2 est un pasteur plein de charisme appartenant à la secte Kitawala Filadelphie, en République démocratique du Congo. Il conseillait autrefois à ses disciples de refuser la vaccination contre la polio. Récemment, il a commencé à rectifier le tir.

Mais la voie qui mène à l’adhésion n’a été ni rapide ni facile. Des heures passées à rechercher dans une Bible traduite en swahili le dernier mot sur les vaccinations jusqu’à la surprenante décision d’envoyer des jeunes membres de la secte suivre une formation médicale et à des vaccinations secrètes effectuées dans la profondeur de la nuit, nous relatons, dans cette série de reportages en trois volets, l’itinéraire d’une alliance inattendue avec un homme qui se fait appeler le Roi Eléphant.

Sud-est de la République démocratique du Congo, 1er mars 2013 – À l’entrée de la mission Kadima, vous êtes accueilli avec des fleurs d’acacia. Autour de vous, des colombes blanches sont lâchées dans l’air.

Vous traversez l’enceinte de la mission qui appartient à la secte Kitawala Filadelphie, dans le sud-est de la République démocratique du Congo. L’air humide retentit des bruits des tambours et des voix de femmes qui poussent des lamentations aiguës.

Vous êtes conduit dans la brousse près de ce que les membres du groupe appellent leur « Vatican », une case de boue et de feuilles de palmier réservée à PP2 (Pasteur Paul 2), le chef spirituel de la secte. Vous êtes rejoint pas ses disciples les plus fidèles et par PP2 lui-même, un homme qui fait l’objet d’une vénération sous le nom de Roi Eléphant.

Nage à contre-courant

Ce jour-là, PP2 est vêtu de shorts tissés dans des fibres de raphia. Il porte un arc et une flèche. Il place la flèche dans l’encoche de son arc, le tend puis pointe la flèche vers le ciel. « Ceci est l’unique flèche dont vous avez besoin pour garantir la victoire dans la guerre contre l’Europe en 2015, » vous dit PP2.

Il ne s’agit pas exactement d’un accueil rassurant si vous faites partie d’une équipe transportant des vaccins anti-polio venus tout droit de Copenhague, au Danemark. Les enfants de la mission Kadima ont besoin de ces vaccins. Mais, de nombreux adeptes de ce groupe religieux, qui évitent avec zèle la médecine et la technologie occidentales, les perçoivent comme un symbole de plus de l’indésirable ingérence occidentale.

Pour ces deux gouttes de couleur rose qui protègent contre la polio, il s’agit d’effectuer une longue nage à contre-courant avant d’arriver à immuniser les enfants. Cet itinéraire s’avère jonché de pièges magico-religieux et des difficultés posées par l’interprétation de la Bible en un lieu où la population agit sur les bases de la tradition et de la croyance, un lieu peuplé de groupes religieux que certains nomment « églises » et d’autres « sectes ».

De Copenhague jusqu’à la localité voisine de Kabalo, le vaccin anti-polio arrive par transport aérien, puis terrestre en traversant des marécages et des forêts. Les moyens logistiques pour l’y faire parvenir relèvent d’un travail titanesque. Pourtant, le périple du vaccin anti-polio s’achève trop souvent à quelques centimètres seulement de la bouche d’un enfant.

En juin 2012, 4% de la totalité des enfants de moins de cinq ans sont passés au travers des campagnes anti-polio dans la province du Katanga parce que leurs parents ne leur ont pas permis de prendre le vaccin. Le Katanga a systématiquement le taux le plus élevé du monde de personnes réfractaires à la vaccination.

Deux tableaux servant de panneaux placés à l’entrée de la mission Kadima laissent peu de doutes sur les raisons.

Sur celui de gauche, un Congolais – ligoté et sous la menace d’un soldat européen – reçoit la vision du Saint-Esprit descendant d’un palmier à côté d’un bâtiment où est écrit : « Prison, 1936 ».

La date sur le panneau à droite de l’entrée se situe dans l’avenir : « 2015 », y lit-on, sous une peinture représentant un match de foot imaginaire qui oppose les Nations Unies à la secte Kitawala Filadelphie. Le panneau dit : « L’Afrique est le berceau de l’humanité. Elle a la forme d’un fusil et la détente sur laquelle on appuie se trouve au Congo. Le Congo est un champ de bataille. »

Faire vaciller les murs

Comment, quand tant de disciples sont dressés avec autant d’acharnement contre tout ce qui vient de l’Ouest, ces deux gouttes de vaccins anti-polio capables de sauver des vies peuvent-elles faire une brèche dans cette forteresse ? Et comment peut-on empêcher la polio de réapparaître dans des endroits comme ceux-ci où de petites poches de résistance au vaccin peuvent constituer la porte ouverte à une nouvelle diffusion du virus ?

Une partie de la réponse se trouve sur ce second panneau à l’entrée de la mission Kadima. Dans le match de foot imaginaire, c’est PP2 qui mène l’équipe de Filadelphie comme avant-centre.

Quand il s’agit de la polio, PP2 peut être le type d’intervenant capable de modifier l’équilibre des choses en soutenant l’adhésion à la vaccination auprès de ses disciples plutôt qu’en prêchant contre comme il le faisait autrefois. Il peut peut-être contribuer à fermer pour de bon la porte au virus de la polio.

Mais il a fallu des années de négociations et de sensibilisation par des animateurs locaux, cela à partir de 2009, pour parvenir à cette situation. Après des heures passées à plancher sur une Bible traduite en swahili pour discuter du rôle de la volonté divine dans les vies et les morts d’enfants, PP2 lui-même est convaincu que la mission devrait ouvrir ses portes au vaccin anti-polio. Mais beaucoup de ses disciples – des personnes qui, durant des décennies ou durant toute leur vie, ont suivi des enseignements qui rejettent tout ce qui provient de l’Ouest – ne le sont pas.

Une stratégie de cheval de Troie

L’esprit réformateur de PP2 n’est pas du goût de tout le monde. Alors que dans sa propre mission les gens peuvent écouter la radio et que PP2 lui-même se sert d’un téléphone mobile pour mener son action, d’autres missions du mouvement ont des pasteurs plus radicaux.

Le processus de changement de Filadelphie peut receler des possibilités mais il repose entièrement sur la force du Roi-Eléphant et lui-même, en retour, risque d’affaiblir son autorité de façon permanente ou même de perdre son rôle de chef spirituel. En résumé, le Roi Eléphant marche sur des œufs.

Les animateurs locaux appuyés par l’UNICEF et les responsables de la santé ont passé de nombreuses heures à discuter du problème avec PP2. Comment pourraient-ils introduire le vaccin anti-polio à l’intérieur de la mission, cela d’une façon qui soit acceptable pour les ouailles de PP2 ?

Finalement, ensemble, ils se sont mis d’accord sur une idée susceptible de fonctionner. PP2 a accepté de trouver trois garçons de la mission dans le but de leur donner une formation gratuite en hygiène et en prévention des maladies. En étant de la communauté, les garçons pourraient y retourner et parler facilement aux fidèles une fois leur formation achevée. Trois dispensaires seraient créés pour eux. Il s’agissait d’une parfaite stratégie de cheval de Troie.

Agents de sensibilisation pour le culte

Ce plan à moyen terme semblait répondre à toutes les conditions pour pouvoir réussir de façon durable. Il avait été accepté par PP2 pour autant que les objectifs finals du plan restent secrets. PP2 avait envoyé trois de ses propres enfants pour qu’ils reçoivent une formation (l’autorité de PP2 provenait de son propre père et PP2 prépare un de ses fils à prendre à place. Il est probable que ces fils seront influents au sein de la communauté).

Les trois fils choisis ont à présent achevé les trois années d’un cycle de quatre. Mais même à présent, un an avant d’être prêt à entamer leur travail, PP2 semble avoir perçu les avantages de l’opération. Cette année, il a proposé que deux autres jeunes Kitawalas partent recevoir une formation médicale.

« Moi, je vois la doctrine de l’église et elle n’accepte pas ces histoires de vaccination. Pourtant, j’ai donné au Médecin cinq de mes fils pour étudier la médecine. Ces enfants seront des agents de sensibilisations pour l’église Filadelphie. Ces enfants auront une influence pour modifier le culte. »

« Je me suis déjà affranchi devant Dieu et la population. J’ai pris cinq enfants. Je les ai conduits au centre de formation médicale. Ces enfants travailleront un jour dans des dispensaires pilotes. Ils décideront alors quoi faire. Cela refermera le dossier. »

Prière, vaccin et propreté

Plusieurs signes montrent que PP2 est davantage impliqué dans l’éradication de la polio qu’il ne le laisse entendre. L’an dernier, quand le mur s’est effondré au dispensaire du village où se trouve la mission, c’est lui et ses disciples qui l’ont réparé. Quand une épidémie de rougeole a éclaté, c’est PP2 qui a trouvé un infirmier et l’a ramené à la mission.

En octobre, lors d’une campagne de vaccination, PP2 a publiquement affirmé, par-dessus la clameur de la foule :

« Il y a trois choses importantes dans la vie d’un être humain : la prière, les vaccins et la propreté. »

Deux factions

Parmi les disciples de PP2, il faut observer qu’il existe deux factions principales. Les adeptes ordinaires, fidèles et respectueux mais sans doute plus ouverts à la modernisation, sont les « Civils Kitawalas ».

La branche la plus dure, plus intégriste du mouvement – celle de ceux les plus enclins à se vêtir de vêtements en raphia et à porter des arcs et des flèches – sont appelés les « Kitawalas armés ».

Le propre entourage de PP2 est constitué de Kitawalas armés et une partie des pasteurs des 350 missions se trouvant dans les environs sont aussi des Kitawalas armés.

Dans ce contexte, même un Roi Eléphant se doit d’être prudent. Les Kitawalas armés gardent leurs yeux grands ouverts et ne souhaitent pas voir leur chef se relâcher.

Un pied dans les deux camps

Mais le sujet n’est pas tabou. En présence des Kitawalas armés, PP2 dit : « Ceux qui ont des problèmes, qui refusent le vaccin contre la polio et ne s’alignent pas sur le développement, cela ne veut pas dire que ce soit leur faute. C’est moi et moi seul qui doit faire face à ces problèmes parce qu’ils suivent mes traces. »

« Je fais un pas en avant et un pas en arrière parce que j’ai toujours peur et cela affecte ceux qui me suivent. Voyez, je vais vous donner un exemple. »

« Pasteur des Civils Kitawalas, viens ici. Avec vous, les Civils Kitawalas, nous sommes en bons termes. Voyez, maintenant je fais venir les Kitawalas armés. Ceux-là, ils sont comme les soldats romains. J’ai peur d’eux. Je dois garder un pied dans les deux camps. »

Un pied dans les deux camps en effet. Le cheval de Troie – sous l’aspect des cinq fils de PP2, bientôt formés à l’hygiène et à la prévention des maladies – réussira-t-il à apporter le vaccin anti-polio à tous les Kitawalas ?

Ou bien les Kitawalas armés, qui montent la garde autour des principes les plus radicaux de leur foi, empêcheront-ils vraiment l’indispensable vaccin de pénétrer dans la mission ? Il est trop tôt pour le savoir avec certitude.

Mais, parallèlement, ces deux gouttes de couleur rose réussissent finalement à atteindre la mission par un autre chemin – par celui des chuchotements et sous le couvert des ténèbres.

Si, le jour, des colombes sont lâchées dans l’air pour accueillir les visiteurs, la nuit c’est la chouette qui les accueille.

La troisième et dernière partie de cette série de reportages examinera « la méthode de la chouette ».