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Analyse: Malgré ses difficultés financières, la CPI ouvre une enquête au Mali

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LONDRES, 31 janvier 2013 (IRIN) - Des inquiétudes émergent concernant le risque que l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes de guerre présumés au Mali pèse lourdement sur ce tribunal déjà surchargé et en proie à des difficultés financières.

Le 16 janvier, lors de l’annonce de l’ouverture de sa première enquête officielle depuis sa prise de fonction, le procureur Fatou Bensouda a promis de rendre justice aux victimes d’actes « de brutalité et de destruction » dans les trois régions du nord du Mali. Certains analystes doutent cependant qu’elle puisse tenir parole, car l’équipe d’enquêteurs de la CPI a été réduite et le budget a à peine augmenté malgré une charge de travail multipliée par deux.

« Il faudrait demander au nouveau procureur si la CPI ne va pas au-delà de ses capacités en étant saisie de huit pays africains à la fois avec peu ou prou le même nombre d’employés et les mêmes moyens financiers qu’avant », a dit Phil Clark, maître de conférences en politique internationale et comparée à l’École des études orientales et africaines de l’Université de Londres. « Le Bureau peut-il vraiment prendre en charge autant d’affaires ? »

La CPI intervient dans des pays qui ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre les auteurs d’atrocités de masse. Elle est saisie en dernier recours dans les pays où des poursuites ont peu de chances d’être menées sans son intervention.

Le montant total des fonds de la Cour s’élevait en 2013 à près de 144 millions de dollars, avec la possibilité d’avoir accès à un compte de réserve de près de 9,3 millions de dollars. En 2010, le montant total des fonds était de 138 millions de dollars. Cette année, ce sont 37 millions de dollars qui ont été alloués au Bureau du procureur, qui est chargé de mener les enquêtes. Cela représente une hausse de seulement 1,3 million depuis 2010, malgré l’ouverture d’enquêtes sur le Mali, le Kenya, la Côte d’Ivoire et la Lybie qui sont venues s’ajouter aux affaires déjà prises en charge par la Cour concernant la République démocratique du Congo (RDC), le Soudan, l’Ouganda et la République centrafricaine.

« Ils sont vraiment arrivés à la limite de leurs capacités avec les ressources dont ils disposent », a dit Kevin Jon Heller, professeur agrégé et chargé d’enseignement à la faculté de droit de Melbourne. Recours à des intermédiaires

La CPI enquête sur des allégations de meurtre, de mutilation, de torture, d’attaque contre des biens protégés, d’exécution, de pillage et de viol qui auraient été commis depuis janvier 2012, lorsque les insurgés ont entamé leur campagne visant à prendre le contrôle du Nord-Mali. Les troupes françaises et l’armée malienne ont repris ce mois-ci plusieurs villes qui se trouvaient entre les mains des rebelles, mais les combats se poursuivant, les enquêteurs de la CPI ont peu de chance de pouvoir collecter des preuves sur le terrain.

« Aucun employé de la CPI ne risque de se rendre au Mali prochainement », a dit M. Heller.

Les enquêteurs vont plutôt s’entretenir avec les troupes françaises, le gouvernement malien et ce qu’on appelle des intermédiaires — généralement des groupes de défense des droits de l’homme qui rassemblent des preuves et contactent des témoins dans des régions auxquelles la Cour n’a pas accès.

Human Rights Watch, Amnesty International et la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) font partie des groupes qui continuent à enquêter activement sur les violations des droits de l’homme au Mali.

Le recours par les enquêteurs de la CPI à des intermédiaires a fait l’objet de controverses lors des précédentes affaires, notamment au cours du procès de Thomas Lubanga, en RDC. M. Lubanga a été reconnu coupable d’avoir enrôlé des enfants pour combattre au sein de son mouvement rebelle en Ituri. Or, les intermédiaires qui avaient aidé les enquêteurs à rassembler des preuves ont été accusés d’avoir soudoyé des témoins. Mathieu Ngudjolo Chui, qui a combattu dans le camp opposé lors du conflit en Ituri a quant à lui été déclaré non coupable de crimes de guerre fin 2012. Les juges saisis de l’affaire n’ont pas été convaincus par les témoins ni par les preuves présentées.

Les analystes espèrent que la CPI ne commettra pas les mêmes erreurs au Mali.

« Dans ce genre de situation, il est inévitable d’avoir recours à des intermédiaires, car ces derniers ont une très bonne connaissance du terrain et ils peuvent contacter les témoins sans prendre de risques et organiser des rencontres en toute sécurité », a dit Geraldine Mattioli-Zeltner, directrice de plaidoyer au sein du Programme Justice internationale de Human Rights Watch.

« Ce qu’il faut améliorer, c’est la façon de faire. [Il faut davantage] comprendre [que] ce ne sont pas les intermédiaires qui mènent l’enquête, mais les enquêteurs eux-mêmes et il faut vérifier qui sont ces intermédiaires, s’ils sont fiables et quelles promesses ils ont faites aux témoins. »

Dans la mesure du possible, a-t-elle dit, la meilleure façon d’enquêter consiste à envoyer des enquêteurs de la CPI sur la scène des crimes présumés. Or, « pouvoir missionner quelqu’un sur le terrain coûte de l’argent, [mais] nous estimons que cela est nécessaire pour mener des enquêtes de qualité. »

La question syrienne

En 2013, la CPI a lancé un appel à financement de 157 millions de dollars pour répondre à sa charge de travail croissante, mais les principaux bailleurs de fonds comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont refusé d’augmenter leur participation. Ces trois pays ont pourtant signé début janvier une lettre du gouvernement suisse adressée au Conseil de sécurité des Nations Unies lui demandant de saisir la CPI de la situation en Syrie.

La Russie, la Chine et les États-Unis, qui ne sont pas membres de la CPI, sont peu susceptibles de soutenir une telle requête.

Mme Mattioli-Zeltner remet en question cette pression visant à saisir le tribunal de nouvelles affaires alors qu’il est déjà surchargé et que plusieurs affaires sont déjà en cours.

« Il y a encore du travail à faire au Darfour et en RDC et voilà que nous en rajoutons », a-t-elle dit. « Nous ne pensons pas que les États membres aient sérieusement réfléchi à ce que cela implique. Il est très important que les États s’en remettent au processus juridique, mais ils doivent s’en remettre à une Cour qui ait les moyens de faire son travail correctement. »

« Actuellement, nous ne pensons pas que la CPI dispose des ressources nécessaires pour prendre en charge de nouvelles affaires, mais nous pensons qu’un certain nombre de situations méritent une intervention de la CPI. »

M. Heller va encore plus loin : « je pense que, si le conseil de sécurité saisit la CPI de la situation en Syrie et ne donne pas plus d’argent à la Cour, Fatou [Bensouda] devrait refuser d’enquêter. »

Mais une demande d’intervention en Syrie par les Nations Unies serait difficile à refuser pour une jeune cour qui doit encore faire ses preuves. Selon M. Clark, la CPI voudrait être considérée comme un acteur de poids dans les zones de conflit les plus importantes pour la communauté internationale.

« La CPI est une nouvelle institution qui tente de gagner en légitimité », a-t-il dit. « Elle veut être un instrument que le Conseil de sécurité puisse utiliser en temps de guerre, mais cela l’oblige à être excessivement disponible, même en l’absence de moyens. »

Les Nations Unies ont déjà demandé à la CPI d’enquêter au Soudan et en Libye. En Côte d’Ivoire et au Kenya, c’est le Bureau du procureur qui a engagé les poursuites, tandis qu’au Mali, en Ouganda, en RDC et en République centrafricaine, ce sont les pays eux-mêmes qui ont envoyé leur situation devant la Cour.

Des enquêtes partiales

Dans le cas du Mali, le gouvernement a adressé une demande d’enquête à la CPI en juillet 2012. Lorsqu’un gouvernement demande aux enquêteurs de la CPI d’intervenir dans son pays, ces derniers peuvent en théorie, au titre de leur mandat, instruire toute affaire. Ils peuvent donc inculper de hauts fonctionnaires ou des membres de l’armée. Pourtant, à l’heure actuelle, lorsque des États se sont eux-mêmes référés à la Cour, seuls des rebelles ont été mis en examen.

Selon M. Heller, des pays comme l’Ouganda « sous-traitent leurs problèmes de justice pénale » à la CPI et devraient poursuivre eux-mêmes leurs mouvements rebelles. « La CPI doit-elle passer tout son temps à se préoccuper de Joseph Kony et de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ? Bien sûr que non », a-t-il dit à IRIN. « Si l’Ouganda peut mettre la main sur M. Kony, il peut, avec l’aide de la communauté internationale, lui accorder un procès équitable. L’Ouganda dispose d’un système juridique très avancé. »

L’affaire ougandaise avait essuyé de vives critiques lorsque les enquêteurs n’avaient pas réussi à collecter des preuves de violations généralisées des droits de l’homme par l’armée nationale.

De la même manière, des cas présumés d’exécutions extrajudiciaires commises par l’armée malienne ce mois-ci risquent de rester sans suite, alors que des groupes de défense des droits de l’homme comme la FIDG et Human Rights Watch ont présenté des preuves.

Selon les observateurs, le problème, c’est notamment que les enquêteurs de la CPI dépendent des gouvernements pour mener à bien leurs visites sur le terrain. Il est donc difficile pour eux d’engager des poursuites contre les deux camps, même si cela fait partie de leur mandat. La CPI ne dispose d’aucune force de police et dépend donc de la bonne volonté des gouvernements pour réaliser ses enquêtes.

Le procureur de la CPI a cependant fait pression sur les autorités maliennes le 28 janvier en déclarant : « Mon Bureau est informé de ce que les forces armées maliennes auraient commis des exactions dans le centre du Mali ces derniers jours. [...] Je rappelle à toutes les parties au conflit en cours au Mali que mon Bureau a compétence pour connaître de tout crime grave commis sur le territoire malien à compter du mois de janvier 2012. »

Le Bureau du procureur n’a pas répondu à la demande d’interview faite par IRIN.

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