Skip to main content

Rapport semestriel sur la situation des droits de l'homme au Burundi (Jan-Mai 2003): "Evolution mitigée du processus de paix"

Countries
Burundi
+ 2 more
Sources
ITEKA
Publication date

Janvier - Mai 2003
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION
I. EVOLUTION DE LA SITUATION POLITIQUE ET SECURITAIRE APRES LA SIGNATURE DU CESSEZ-LE-FEU

I.1 Un début prometteur

  • I.1.1 Quelques points d'entente dans le mémorandum du 26 et 27 janvier
    I.1.2 La volonté de soutenir et d'accompagner l'accord
    I.1.3 La 3ème signature d'un accord de cessez-le-feu dans l'impasse

I.2.1 L'alternance politique, des coups de boutoirs autour du fauteuil présidentiel
I.2.2 Une course effrénée autour du poste de vice-président

I.3 Le nouveau couple présidentiel démarre : un léger remaniement ministériel

I.4 Evolution de l'adoption de différents lois prévus par l'Accord d'Arusha

II. LA SITUATION DES DROITS HUMAINS

II.1 Situation des droits civils et politiques

  • II.1.1 Le droit à la vie
    II.1.1.1 Les dégâts humains occasionnés par les forces de l'ordre
    II.1.1.2 Les dégâts humains occasionnés par les rebelles
    II.1.1.3 Les exécutions extra-judiciaire
    II.1.1.3.1 Exécution extra-judiciaire attribuées aux rebelles
    II.1.1.3.1.1 La chasse aux « féticheurs » par les rebelles du PALIPEHUTU-FNL
    II.1.1.3.1.2 La chasse aux féticheurs par le Cndd-Fdd de Pierre Nkurunziza
    II.1.1.3.2 Exécutions extra-judiciaires attribué aux forces de l'ordre
    II.1.1.4 Atteintes au droit à la vie attribué aux tierces personnes
    II.1.1.4.1 Assassinat et meurtres
    II.1.1.4.1.1 Quelques cas de personnes assassinées par leurs proches
    II.1.1.4.1.2 Des personnes tuées par des bandits armés
    II.1.1.4.1.3 Des tentative d'infanticides
    II.1.1.5 Les administratifs tués et enlevés


    II.1.2 Le droit de ne pas être tenu en esclavage


    II.1.3 Le droit de ne pas soumis à la torture, aux traitements inhumains


    II.1.4 Le droit à une justice équitable
    II.1.4.1 Projet de création d'une école professionnelle pour les agents de la justice
    II.1.4.2 Evolution de certaines statistiques
    II.1.4.2.1. Evolution de la population carcérale à la fin du mois avril
    II.1.4.2.2 Evolution de la situation de la fin du mois de novembre 2002 à la fin à la fin du mois d' Avril 2003
    II.1.4.2 .3 Situation des dossiers des prévenus de janvier à avril 2003
    II .1.4.2.4 Les décisions des chambres criminelles
    II.1.4.3 Le système pénitentiaire
    II.1.4.3.1 Quelques cas de détentions préventives prolongées rapportés à la ligue
    II.1.4.3.2 quelques cas d'arrestations et détentions arbitraires
    II.1.4.4 Enlisement des dossiers : l'affaire Kassy Manlan


    II.1.5 Liberté de circulation
    II.1.5.1 Un taux très élevé d'embuscades sur les axes routiers
    II.1.5.2 Les mines anti-personnelle continuent à faire des victimes
    II.1.5.3 Certaines localités du pays toujours inacceptables suite à l 'insécurité
    II.1.5.4 Les transporteurs face aux abus de la police de roulage et de la rébellion
    II.1.5.5 Les mauvaises conditions de transport à l'origine de nombreux accident


    II.1.6 Le droit à la propriété
    II.1.6.1 Des cas de pillage et de destruction de biens de janvier à mai 2003.
    II.1.6.2 Le banditisme, un véritable fléau dans les centres urbains
    II.1.6.3 Des litiges fonciers entre les écoles et des tierces personnes
    II.1.6.4 Des conflits entre éleveurs et agriculteurs
    II.1.6.5 La problématique de l'environnement


    II.1.7 Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion
    II.1.71 Quelques conflits au sein des églises
    II.1.7.2 La déviance de certaines églises
    II.1.7.3 Une nouvelle loi sur les confessions religieuses en cours


    II.1.8 Le droit à la liberté d'opinion et d'expression
    II.1.8.1 Des démarches manifestations toujours empêchées
    II.1.8.2 Des rencontres empêchées
    II.1.8.3 De nombreux mouvements de grève
    II.1.8.4 Des prisonniers d'opinion


    II.1.9 Elargissement du mouvement associatif


    II.1.10 Le droit d'asile
    II.1.10.1 L'expulsion mal voilée des réfugiés burundais de la Tanzanie
    II.1.10.2 Estimation du nombre de rapatriés de janvier à mai
    II.1.10.3 Les réfugiés vivant sur le sol burundais
    II.1.10.3.1 La situation des Banyamurenge du quartier Ngagara en Mairie de Bujumbura...
    II.1.10.3.2 Le cas des congolais du camp Gasorwe
    II.1.10.3.3 Les réfugiés assistés par le HCR
    II.1.10.3.4 Les réfugiés non assistés par le HCR

II.2 Les droits socio-économiques

  • II.2.1 Le droit à l'éducation
    II.2.1.1 Evolution des principales statistiques 2002-2003
    II.2.1.1.1 Evolution des statistiques au primaire
    II.2.1.1.1.1 Le problème d'enseignants
    II.2.1.1.1.2 Les abandons
    II.2.1.1.2 Evolution des statistiques au secondaires
    II.2.1.1.2.1Le nombre d'écoles existantes à la rentrée scolaire 2002-2003
    II.2.1.1.2.2 Les effectifs des élèves au secondaire 2002-2003
    II.2.1.2 Les effets de la guerre sur l'éducation
    II.2.1.3 quelques mouvements de grève dans les écoles
    II .2.1.4 Un malaise persistant au sein du personnel de l'enseignement primaire
    II .2.1.4.1 Des revendications non satisfaites après la grève des enseignants
    II .2.1.4.2 La reprise de la grève par les syndicats SLEP et STEB
    II.2.1.4.3 De fréquents heurts autour des frais de surveillance et de correction
    II .2.1.4.4 La réticence des vacataires
    II.2.1.4.5 La longue attente de la paie pour de nouveaux enseignants
    II.2.1.4.6 De problème de treize enseignants de la Direction Provinciale de Bururi
    II .2.1.4.7 Des tensions ethniques dans les écoles secondaires du sud du pays
    II .2.1.4.8 Le problème d'élèves indigents
    II.2.1.5 Un malaise chronique à l'université du Burundi
    II.2.1.5.1 Des sit-in et arrêts de cours répétitifs
    II.2.1.6 La problématique de l'enseignement privé


    II.2.2 Le droit à la santé .
    II.2.2.1 La privatisation des structures de soins
    II.2.2.2 L'insuffisance du personnel
    II.2.2.3 L'insuffisance des pharmacies
    II.2.2.4 Le manque et insuffisance d'équipements
    II.2.2.5 La prolifération des centres de santé privés
    II.2.2.6 Le problème des maternités
    II.2.2.7 Quelques cas d'épidémies
    II .2.2.8 Quelques aspects positifs

III. LE DROIT A LA PROTECTION DES CATEGORIES VULNERABLES

III.1 Le droit de l'enfance à une protection spéciale

III.2 Les femmes

III.3 Les handicapés

III.4 Les sinistrés de guerre

  • III.4.1 Les déplacés des sites et camps de regroupement
    III.4.2 Les grands mouvements de la population
    III.4.3 Mouvements de retour des déplacés
    III.4.4 Les rapatriés
    III.4.5 Les refoulés
    III.4.6 Les problèmes des rapatriés à leur arrivée

IV. LA DEGRADATION DU SECTEUR ECONOMIQUE
RECOMMANDATIONS
ANNNEXES

Introduction

Après la signature d'un accord du cessez-le-feu entre le gouvernement burundais de transition et le CNDD-FDD (Le Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces pour la Défense de la Démocratie) de Pierre Nkurunziza, certaines âmes encore optimistes avaient poussé un soupir de soulagement, caressant l'espoir de voir les choses évoluer positivement.

D'autres par contre préféraient rester sur leur position de "wait and see" car de la par l'expérience du passé, les processus burundais sont constamment mis à rude épreuve.

Un tel sentiment était bel et bien fondé car à priori, l'absence d'un cessez-le-feu inclusif complique l'applicabilité d'accords fragmentés et à plus forte raison puisque le cantonnement ne concerne dans un premier temps que des partis sans prise directe sur le dénouement de la guerre à savoir : le PALIPEHUTU-FNL ( Le Parti pour la Libération du peuple Hutu-Forces Nationales de Libération) d'Alain Mugabarabona et le CNDD-FDD de Jean Bosco Ndayikengurukiye. Par conséquent, si la guerre persiste, il reste difficile, voire même impossible d'engager la création de zones de cantonnement, la première phase clé de la mise en application de l'accord de cessez-le-feu.

En dépit de cette complexité de la situation, les négociateurs ont manifesté dans un premier temps, du moins en apparence, la volonté de mettre ' le train sur les rails" et de s'engager sur un terrain d'entente.

La volonté d'accompagner l'accord de cessez-le-feu était aussi manifeste du côté de l'initiative sous régionale, malgré les nombreuses difficultés.

Mais en fin de compte, les efforts de "maintenir" le train sur les rails " se sont soldés par un échec et le cessez-le-feu a vite sombré dans l'impasse avec comme corollaire le regain des affrontements.

Par conséquent, le période pré-transitoire a été caractérisée par une détérioration aiguë de la situation sur tous les plans.

Sur le plan sécuritaire, une grande partie du pays fut gagnée par les affrontements dont le paroxysme a été le largage des bombes sur la capitale Bujumbura et les provinces de Ruyigi et de Gitega à la mi-avril, provoquant des pertes en vies humaines et la destruction des biens.

Sur le plan politique, une crise institutionnelle a été évitée de justesse avec les coups de boutoir autour des fauteuils présidentiels -président et vice-président-, ce qui mettait en exergue les deux maux majeurs qui caractérisent la classe politique burundaise: l'absence de " fair play" dans le jeu politique et la subsistance du régionalisme qui a toujours gangrené notre société

C'est dans un climat fort intempestif donc que le Burundi a cheminé bon gré malgré vers le nouveau tournant politique : la 2ème tranche de transition.

I. Evolution de la situation politique et sécuritaire après la signature du cessez-le-feu

I.1. Un début prometteur.

Après la signature du cessez-le-feu entre le gouvernement de transition du Burundi et le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza, d'aucuns commençaient à pousser un "ouf" de soulagement.

Cette étape marquait certes une étape significative, mais les enjeux et les paradoxes qui avaient entouré les processus d'accords restaient encore gravés dans la mémoire des Burundais.

Par ailleurs, le caractère fragmenté de l'accord de cessez-le-feu cristallisait le scepticisme d'une bonne partie de la population burundaise. En effet, loin d'un accord d'un cessez-le-feu unique et inclusif, les négociateurs ont plutôt abouti à une série d'accords parallèles et apparemment concurrentiels :

- En 1998, signature d'un accord de suspension des hostilités avec le FROLINA(Front de Libération Nationale ) de Karumba, le CNDD de Léonard Nyangoma, le PALIPEHUTU(Parti pour la Libération du Peuple Hutu) d'Etienne Karatasi,

- Le 7 octobre 2002, signature d'un accord de cessez-le-feu avec le CNDD-FDD de Jean Bosco Ndayikengurukiye et le PALIPEHUTU-FNL d'Alain Mugabarabona,

- Le 2 décembre 2002, signature à l'arrachée d'un accord de cessez-le-feu avec le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza.

A priori donc, l'absence d'un cessez-le-feu unique et inclusif compromet dangereusement l'applicabilité des accords fragmentés et à plus forte raison, puisque le cantonnement ne concerne dans un premier temps que des mouvements qui n'ont pas de prise directe sur la guerre. C'est dans cette optique que des accords ont été signés entre les responsables des mouvements du PALIPEHUTU-FNL d'Alain Mugabarabona et le CNDD-FDD de Jean Bosco Ndayikengurukiye. Visiblement, ces accords n'ont pas porté de fruits car, si la guerre persiste, il restera difficile, voire même impossible d'envisager la création de zones de cantonnement, la première phase clé de mise en application de l'accord de cessez-le-feu.

Néanmoins, en dépit de cette complexité de la situation, les négociateurs ont manifesté tout au début, du moins en apparence, la volonté de mettre " le train sur les rails" et de s'engager sur un terrain d'entente :

  • Dès le mois de décembre 2002, le ravitaillement promis aux rebelles par l'Union Européenne en vue de soutenir l'effort de paix au Burundi commença à être distribué aux combattants du mouvement rebelle du CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza.

  • Le 15 janvier 2003, le vice-président Sud Africain et médiateur dans le conflit burundais, Jacob Zuma, est arrivé à Bujumbura en provenance d'Ethiopie, siège de l'Union Africaine o=F9 l'organe central de résolution de conflit de l'Union Africaine(UA) était en train d'analyser l'envoi des troupes de maintien du cessez-le-feu définitif au Burundi. Durant son séjour au Burundi, il a mené des tractations avec les hautes autorités du pays en vue d'une meilleure application du cessez-le-feu.

  • Les 26 et 27 janvier 2003, les négociateurs ont signé un mémorandum pour matérialiser leur engagement de poursuivre leurs négociations pour arriver à un cessez-le-feu définitif.

I.1.1 Quelques points d'entente dans le mémorandum du 26 et 27 janvier 2003.

Dans ce mémorandum les parties en négociation ont abouti sur quelques points d'entente:

- La rentrée d'exil pour les leaders de la rébellion qui bénéficieront des facilités dans ce sens ;

- Une fois arrivés au pays, ces leaders de la rébellion seront placés sous la protection des troupes de la mission africaine ;

- La question des zones de cantonnement sera précisée durant la 2ème moitié du mois de février ;

- Chacune de ces zones comptera 3.000 hommes au maximum;

- La sécurisation des zones de cantonnement sera assurée par la mission africaine de maintien du cessez-le-feu qui sera déployée au Burundi;

- L'intégration des leaders rebelles dans les institutions de transition ;

- Une commission technique se mettra à l'oeuvre dès le 30 janvier 2003 et sortira son rapport le 8 février 2003 de la même année;

- Les points de ravitaillement de l'assistance accordée par l'Union Européenne restent Kayange dans la province de Bubanza et Karinda dans la province Ruyigi;

- Par cette même occasion, il est aussi décidé de la mise sur pied d'une commission conjointe de cessez-le-feu composée de six délégués du gouvernement et six délégués des mouvements rebelles et deux observateurs indépendants. Cette commission devrait être présidée par un homme ou une femme désignée par les Nations-Unies.

I.1.2 La volonté de soutenir et d'accompagner l'accord se manifeste.

La volonté de soutenir et d'accompagner l'accord de cessez-le-feu s'est aussi fait sentir malgré les innombrables difficultés, ce qui donne une lueur d'espoir:

- Le 18 février, les ministres de la défense des trois pays qui ont accepté de fournir les troupes pour l'observation du cessez-le-feu au Burundi à savoir: l'Afrique du Sud, le Mozambique et l'Ethiopie ont rencontré à l'hôtel Novotel de Bujumbura les signataires de l'accord de cessez-le-feu. Cette réunion était présidée par le ministre Sud-Africain de la défense nationale et son objet principal était la mise en place d'une commission mixte d'observation du cessez-le feu qui sera dirigée par le Général Russ, un sud-africain. Cette commission sera composée de trois membres de la mission africaine et trois membres par partie signataire du cessez-le feu. Plusieurs officiers burundais ainsi que les deux chefs rebelles : Jean Bosco Ndayikengurukiye et Alain Mugabarabona participaient à cette réunion.

Le Président Pierre Buyoya a quant à lui déclaré, dans un point de presse tenu à l'aéroport de Bujumbura avant son départ pour le 22ème sommet France-Afrique du 19 au 21 février 2003, qu'il profitera de cette occasion pour plaider en faveur du financement de l'opération de maintien de la paix et d'observation du cessez-le-feu.

Même le colonel Nijimbere Léonidas, conseiller principal chargé des questions de sécurité à la présidence a tenté de lever les inquiétudes dans un point de presse le 20 février, en affirmant que les commissions techniques mise en place pour négocier les accords politico- militaires ont travaillé à satisfaction car " bien de points importants ont déjà fait objet d'un compromis":

- L'organigramme et la dénomination de la future armée nationale qui portera le nom de la« Force de Défense Nationale » (FDN) qui en plus d'un commandant suprême doit être doté d'un ministère à la présidence chargé de la défense et d'un conseil national de défense.

- Pour la police nationale, cet organe portera le nom de" Conseil National de Sécurité",

- La nécessité et l'urgence de la mise en place des commissions mixtes d'observation du cessez-le-feu de la mission africaine et du programme D.D.R ( Désarmement, Démobilisation, Réintégration ).

- L'identité des pays ou institutions qui aideront dans la formation de ceux qui seront appelés à faire partie de nouveaux corps de défense et de sécurité, ainsi que les programmes à envoyer aux bailleurs pour mobilisation de fonds.

En dépit de ce compromis, le colonel Nijimbere a souligné que des points d'achoppement subsistaient encore:

- la question de la Gendarmerie que le CNDD-FDD entend supprimer pour confier la mission de cette dernière à la future police nationale.

- Les effectifs et les quotas jusqu'aux postes de commandement.

- Les critères de réintégration et calendrier du D.D.R.

Pour ce qui est des effectifs, le CNDD-FDD voudrait que la nouvelle armée soit de 12.000 hommes tandis que le gouvernement déclare qu'il a la souveraineté d'apprécier l'effectif qui convient en fonction des moyens de l'Etat. Le compromis s'avère aussi problématique au tour des postes de commandement car, le CNDD-FDD réclament 75% de postes à l'armée comme à la police et aux servies de renseignements, alors qu'il y a d'autres mouvements qui doivent être incorporés au sein de l'appareil politico-militaro-policier.

- Le CNDD-FDD souhaite aussi que les effectifs de la nouvelle police nationale soient de 12.000 hommes comme à l'armée et que le niveau d'études ne soit pas tenu en considération lors du recrutement, ce qui est impensable pour l'armée gouvernementale qui déclare qu'il faudra non seulement le vouloir mais aussi le pouvoir pour faire partie de ces nouveaux corps.

La période post-signature du cessez-le-feu fut donc marquée par " un activisme" qui en apparence traduisait la volonté réelle des parties en négociation de s'engager sans faux-fuyant sur un terrain d'entente.

Néanmoins, ceux qui connaissent de près ou de loin le Burundi et son histoire socio-politique préféraient s'en tenir à la sage position de " wait and see".

I.1.3 La 3ème signature d'un accord de cessez-le feu dans l'impasse.

Un tel scepticisme ne tarda pas à trouver sa justification dans le revirement très rapide de la situation. Loin d'évoluer positivement, les choses se détériorèrent au galop comme pour concrétiser que ce que certains avaient pris pour une nouvelle lancée politique n'était qu'"une pure farce" loin d'être un " fair-play".

Ce nouvel échec était une preuve de plus que le fossé entre les protagonistes burundais reste large et profond.

Dès le premier blocage du cessez-le-feu récemment signé, les deux parties rivalisèrent dans les accusations mutuelles.

L'armée portait à l'endroit de la rébellion du CNDD-FDD des allégations suivantes :

  • La poursuite du recrutement de nouveaux combattants
  • L'occupation de nouvelles positions militaires sur le terrain par le CNDD-FDD

A son tour, le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza retournait la balle dans le camp des FAB ( Forces Armées Burundaises) qu'il accusait de :

  • Violer le cessez-le-feu en bloquant le ravitaillement leur destiné.

Il concluait par conséquent que " les combattants affamés avaient la carte blanche pour se débrouiller et se ravitailler".

Un désaccord ou malentendu entre les deux parties subsistait également au niveau des points de ravitaillement. Au moment o=F9 les rebelles revendiquaient deux points de ravitaillement comme convenu entre ces deux parties, l'armée persistait à leur reconnaître; un seul point de ravitaillement : Kayange situé à la lisière de la Kibira en commune Musigati, province Bubanza, et une seule zone de cantonnement : la forêt naturelle de la Kibira.

Ce revirement dans l'attitude des deux parties qui venaient de signer l'accord de cessez-le-feu remit en cause le processus du cessez-le-feu, ce qui n'a pas manqué d'alerter et d'inquiéter l'opinion tant intérieure qu'extérieure :

- Au cours d'un café de presse organisé par la Ligue "Iteka" le 7 février 2003 autour du thème : " Les accords de cessez-le-feu, enjeux et applicabilité au Burundi". Les participants ont reconnu que l'applicabilité des accords de cessez-le-feu restait problématique pour diverses raisons pas nécessairement convergentes.

- Le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies au Burundi et Président de la Commission de Suivi pour l'Application de l'accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi ( CSA), Ambassadeur Berhanu Dinka, n'a pas non plus caché ses vives préoccupations au cours d'un point de presse du 24 février 2003, au sujet du nouveau durcissement de positions et a exhorté les protagonistes à reprendre sans délai les négociations et à faire des efforts pour arriver à une paix durable et à éviter toute action politique, militaire et toute propagande susceptible d'exacerber la situation et de compromettre des avancées déjà enregistrées, ce qui ne ferait qu'accroître davantage la souffrance du peuple Burundais.

- Enfin, le diplomate Onusien a souhaité que le déploiement des observateurs militaires de l'Union Africaine, contribue à diminuer les tensions et à favoriser la reprise de la distribution de l'aide alimentaire destinée par l' Union Européenne aux combattants du CNDD-FDD.

Toutefois, les tentatives de dégeler la crise sur la question du cessez-le-feu se sont soldées par un échec. Les violences reprirent avec une intensité inhabituelle dont le paroxysme fut le largage des bombes sur les villes de Bujumbura, Gitega et Ruyigi entre les 17 et 19 avril 2003.

A cela, s'ajoutait une forte psychose de la population burundaise qui craignait le pire à l'approche de l'alternance politique à la tête de l'Etat.

Cette psychose avait été si bien entretenue que le pays a même failli replonger de nouveau dans le chaos et dans un regain de tension ethnique.

En dépit de la détérioration de la situation, l'initiative sous-régionale était décidée à poursuivre la mise en application du cessez-le-feu :

- Le déploiement des observateurs militaires de l'Union Africaine au début du mois d'avril,

- Le 27 avril : arrivée du 1er contingent des forces Africaines de maintien de la paix de 127 militaires sous le commandement du Général Major sud africain Sifo BINDA,

- 17 mai : arrivée du 2ème contingent de 16 Ethiopiens des forces de maintien de la paix pour la protection des zones de cantonnement.

Bref, c'est dans un climat agité que le pays chemina petit à petit vers le nouveau tournant politique : la deuxième tranche de la transition.

I.2. L'alternance politique : des coups de boutoirs

I.2.1 Des coups de boutoirs autour du fauteuil présidentiel.

Cette question a provoqué un débat houleux et de vives tensions au sein de la classe politique burundaise.

Au cours des discussions très serrées en coulisse entre les délégués des deux principaux partis politiques: l'Uprona( Unité pour le Progrès National ) et le Frodebu ( Front pour la Démocratie au Burundi ), les divergences subsistaient, ce qui entretenait une nouvelle tension politico-ethnique :

- Pour l'UPRONA, " il était hasardeux d'envisager un changement politique dans des moments aussi particuliers que vivait le pays et la prolongation de la 1ère tranche de transition était la voie la plus sage pour donner le temps aux hommes politiques de « résoudre certaines questions toujours en suspens»

- Pour le FRODEBU et ses alliés, cette position n'était même pas envisageable et l'alternance politique devait impérativement avoir lieu, la constitution de transition étant claire là-dessus en ses articles 79 et 80, de même que l'Accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation.

La situation devint même beaucoup plus malaisée quand le président lui-même, le négociateur en chef des accords céda à la tentation.

En effet, depuis le mois de janvier jusqu'au mois de mars, il ne se sentait pas encore prêt à céder le fauteuil présidentiel.

Lors de la célébration de la journée internationale de la femme le 8 mars 2003, le président Buyoya avait rehaussé de sa présence les cérémonies marquant cette journée en province Rutana.

Dans son mot de circonstance, il est revenu sur cette question d'alternance politique, qui échauffait tant les esprits, en rappelant que "cette question ne devrait pas être traînée dans la rue". Il a même mis en garde les hommes des médias de ne pas trop s'en mêler car " des hommes politiques bien calés en la matière s'en occupaient et il fallait attendre le verdict à l'issue de leurs pourparlers".

Selon une certaine opinion, ces propos véhiculaient l'espoir tacite du président Buyoya de se maintenir encore au pouvoir. Tout comme lui, les pro-Buyoya estimaient aussi que sans lui, la question de cessez-le-feu s'enliserait, étant le seul homme " qui a su toujours bien nager entre les positions burundaises fortement polarisées, un jeu que ne saurait maîtriser son successeur potentiel mal outillé en la matière et de surcroît, un Hutu !

Le côté FRODEBU ne l'entendait pas de cette oreille et qualifiait de telles opinions de manoeuvres dilatoires et calculs mesquins de Buyoya et de son entourage pour s'accrocher indéfiniment au pouvoir, jetant ainsi au rancard les accords signés.

Cette polarisation de positions était une fois de plus une entrave sérieuse à l'avancée vers la paix et la réconciliation et il a fallu l'intervention de l'extérieur et des autres partenaires intérieurs tant de la société civile ( Associations de droits de l'homme, médias ainsi que les confessions religieuses) que des partis du G10 mécontents de l'exclusion dont ils ont été victimes de la part du parti du Président Buyoya, pour " remettre le train sur les rails", ce qui a évité de justesse une nouvelle crise institutionnelle.

I.2.2 Une course effrénée autour du poste du Vice-Président.

Si le fauteuil présidentiel a failli remuer " les démons endormis", il en fût de même pour celui de la vice-présidence.

Ce poste suscita aussi des convoitises au sein de la famille politique du G10 bien que l'article 99 de la constitution de transition ne comporte pas d'équivoque là-dessus.

De coups de boutoir resurgirent, nouvelle preuve que les Burundais font marche sur place et restent fortement esclaves de leurs intérêts sectaires, et cela en dépit même des plates formes politiques déjà confectionnées, si lacunaires soient-elles.

Pour ce poste donc, trois candidatures étaient en lisse :

- Le député Alphonse Marie Kadege de l'UPRONA négociateur,

- Le président du parti MRC-RURENZANGEMERO (Mouvement pour la Réhabilitation du Citoyen ), le Colonel Epitace Bayaganakandi,

- Le président du parti ABASA (Alliance Burundo-Africaine pour le Salut ), l'ambassadeur Térence Nsanze, actuellement en poste à Berlin dont la candidature est tombée au moment o=F9 les négociations dites de dernière chance pour s'entendre sur un candidat unique battaient leur plein.

Pour les pro-Kadege et Kadege lui-même, le poste de vice-président de la République ne saurait être occupée que par une personne qui a suivi de bout en bout les accords d'Arusha. Telle était la position des partis : vert -Intwari, PRP ( Parti pour la Reconciliation du Peuple ) et le PSD (Parti Social Démocrate ) qui soutenaient le candidat de l'Uprona négociateur.

Pour les partis soutenant la candidature d'Epitace Bayaganakandi, à savoir : le PIT(Parti Indépendant des Travailleurs), le MSP-Inkinzo(Mouvement Socialiste Panafricain), l'ANADDE ( Alliance Nationale pour le Droit et le Développement ),le RADDES ( Ralliement pour la Démocratie et le Développement Economique et Social ),cette position était une tentative pure et simple d'exclure le candidat du G5, car leur argumentation ne figurait nulle part dans les deux textes réglementaires de la vie politique du pays durant la période de transition : l'Accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation ainsi que la Constitution de Transition. En plus de cela, ils estimaient que le colonel Bayaganakandi, ancien ministre de l'intérieur, était mieux placé pour négocier des questions militaires que ses deux rivaux.

Il faudrait en outre rappeler que ce candidat soutenu par 8 partis du G10 avait également tenté de briguer le fauteuil présidentiel pour piloter la première tranche de la période de transition, mais avait été écarté de la course en faveur du Président Buyoya qui bénéficiait largement du soutien du G7 et de la médiation.

En fin de compte, les multiples tractations menées en cascades au sein du G10 au cours de la première quinzaine du mois d'avril aboutirent à un blocage quasi-total.

La toile de fond d'un tel désaccord au sein de cette famille du G10 n'était autre que « le régionalisme, un mal qui gangrène la société burundaise au-délà des conflits ethniques et qui avait même caractérisé les tractations d'Arusha 2000 autour de la question de la présidence et la vice-présidence. Le résultat final n'avait été rien d'autre qu'un produit de rapports géographiques ». La même situation risquait de resurgir, en témoignent les propos du Président du PRP Mathias Hitimana lorsqu'il disait que la province de Bururi ne peut pas perdre les postes du Président de la République et du Vice-président.

Les pro-Bayaganakandi redoutaient encore une fois " les subterfuges de l'UPRONA négociateur pour écarter les autres".

Ceux qui n'épousaient pas les idées de l'UPRONA négociateur se bernaient d'illusions que « la prise de conscience des concurrents de l'Uprona négociateur, eu égard à la leçon d'Arusha 2000, les amènerait à serrer les rangs et à sortir plus renforcés pour mieux aborder la compétition ». A leur grande déception, les tractions entre les partis du G10, dégénérèrent rapidement en antagonismes régionaux et le consensus ne fût jamais atteint.

Face à cet état de chose, ce qu'ils avaient tant redouté était la seule voie de sortie.

Ainsi comme le prévoit l'article 99 de la constitution de transition, le président sortant et son vice-président ainsi que les bureaux du Parlement durent user de leurs prérogatives de sélectionner un candidat à soumettre par la suite au vote du parlement.

Le verdict tomba en faveur du candidat de l'UPRONA, Alphonse Marie Kadege qui fut ensuite élu le 25 avril presqu'à la quasi-totalité de voix des membres du parlement de transition réunis en congrès depuis le 24 avril. Sur les 214 parlementaires présents ( députés et sénateurs ), 205 ont voté pour, 9 se sont abstenus et aucune voix contre.

Par la suite, les partis politiques qui soutenaient la candidature du colonel Epitace Bayaganakandi : le RADDES, le PIT, le MSP-INKINZO,non satisfaits de l'issue de l'affaire, décidèrent de saisir la cour constitutionnelle pour dénoncer " les irrégularités" de la procédure de désignation du vice-président, inventoriées comme suit :

- L'article 99 de la constitution de transition qui a guidé la sélection, est inconstitutionnelle car seul l'Accord d'Arusha est valable pour son élection.

- L'article 99 est discriminatoire, car sur les douze personnes qui devraient se prononcer sur le candidat au niveau des bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat élargi, onze sont de l'Uprona et un du Frodebu.

Pour le président du PAJUDE ( Parti pour la Justice et le Développement ), parti non signataire de l'Accord d'Arusha, et qui n'avait pas répondu à l'invitation, l'heure n'était pas propice à l'évaluation de l'accord. Ce parti demandait plutôt que des négociations