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Préserver un espace humanitaire dans ces parcours d’exil

Countries
France
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Sources
Croix-Rouge Française
Publication date
Origin
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Le Président, Philippe Da Costa, a effectué un déplacement de deux jours dans les Hauts-de-France les 12 et 13 mai, pour rencontrer les équipes du dispositif mobile de soutien aux exilés (DMSE), mais aussi pour évaluer par lui-même la situation dans les campements de Calais et Grande-Synthe. Deux territoires, deux réalités différentes, où l’espace humanitaire a encore trop peu de place.

INTERVIEW

Vous vous êtes rendu sur un campement informel à Calais et au camp principal de Grande-Synthe. Quelle vision en gardez-vous ?

J’ai d’abord voulu me rendre en effet sur un campement informel à Calais et je dois dire que j’ai immédiatement été confronté à la réalité puisque je suis arrivé à la fin d’une opération de démantèlement du camp par les forces de l’ordre. Les migrants attendaient à l’extérieur du camp et j’ai vu le travail de nos volontaires à leur rencontre. La plupart des personnes avaient abandonné leurs tentes et leur matériel. Le dispositif mobile de soutien aux exilés (DMSE) qui intervient chaque semaine sur les camps de Calais, est aussitôt allé à leur rencontre pour dialoguer avec elles et évaluer leurs besoins. L’équipe a notamment mis à leur disposition des téléphones qui sont souvent pour ces personnes le seul lien avec leurs proches. J’ai pu moi-même échanger avec plusieurs d’entre elles. J’ai constaté à quel point elles avaient confiance en nous. Cette confiance est due au dévouement et à la bienveillance de nos volontaires.

Comment les volontaires vivent-ils cette situation ?

Les Hauts-de-France sont un lieu de passage historique entre la France et le Royaume-Uni. La Croix-Rouge française est un acteur associatif majeur dans la région et particulièrement dynamique. Je tiens à dire ma fierté devant l’engagement des unités locales de Calais et Dunkerque où je me suis rendu. Elles partagent depuis des années cette réalité migratoire. J’ai beaucoup échangé avec les bénévoles, ainsi qu’avec les volontaires engagés sur le dispositif DMSE. Ils ont conscience que la Croix-Rouge apporte un soutien essentiel et inconditionnel à une population extrêmement vulnérable, dans le dénuement le plus total, dont des enfants, des familles. A Grande-Synthe, où le camp principal est pourtant plus structuré qu’à Calais, les conditions de vie sont très spartiates. Il y a un gros problème d’accès à l’hygiène et à l’eau.Il n’y a pas de ramassage des ordures… La seule organisation existante est celle des passeurs. Selon moi, un camp devrait répondre aux besoins essentiels. J’en reviens à la nécessité de préserver l’accès à l’espace humanitaire. On se doit de porter secours aux personnes vulnérables et donc d’avoir accès aux sites. Aujourd’hui, à l’entrée du camp de Calais, des blocs de ciment empêchent l’entrée de nos véhicules… Cette situation est véritablement incompréhensible.

Dans ce contexte, comment intervenons-nous ? Pouvons-nous faire plus et mieux ?

Le DMSE est un dispositif national qui a déjà évolué au fil des ans et il doit encore évoluer. L’un des enjeux aujourd’hui, c’est la nécessité de faire travailler ensemble tous les acteurs sur la problématique migratoire : les bénévoles, les volontaires engagés sur le DMSE, les salariés de nos établissements et la région qui porte la stratégie nationale sur les territoires. La soirée organisée à l’unité locale de Dunkerque, lors de ma venue, a d’ailleurs permis la rencontre et les échanges entre tous les volontaires du territoire. Ce fut un moment très enrichissant pour nous tous, je crois.

Que fait le DMSE concrètement ?

Le DMSE s’appuie aujourd’hui sur trois actions phares : le rétablissement des liens familiaux - que j’évoquais plus haut et qui est une mission cruciale pour des personnes déracinées - la santé et le soutien aux mineurs non accompagnés. Concernant la santé, je vous laisse imaginer toutes les souffrances psychiques et physiques liées à l’exode ! Problèmes dentaires, douleurs des pieds et articulaires, problèmes de peau, sans parler des femmes ayant accouché sur la route de l’exil... Nos activités s’effectuent à bord d’un camion équipé, basé à l’entrée du camp de Grande-Synthe. A travers la relation thérapeutique se joue un moment d’intimité et de réconciliation avec le corps longtemps oublié, dénigré, au profit d’un seul objectif : rejoindre le Royaume-Uni. Ce camion estun premier relais où deux infirmières prodiguent des soins primaires et organisent le transfert des patients vers des dispositifs de droit commun si leur état l’impose. En 2021, plus de 3 600 consultations ont été réalisées.

Enfin, depuis un an, nous menons une mission spécifique en faveur des mineurs non-accompagnés.

Une équipe composée d’une responsable-référente, d’une éducatrice et de bénévoles, soutenus par des interprètes, construisent une relation avec les plus jeunes, exposés à des risques d’exploitation et à d’autres violences. Des activités socio-éducatives leur sont proposées. Des maraudes sont organisées pour aller à leur rencontre et un accueil de jour leur permet de bénéficier d’un abri chaleureux. Il est important de recréer un cocon d’expression et une relation éducative. Pour ces jeunes qui sont l’incarnation même des vulnérabilités sur la route de l’exil, cette protection offerte n’est pas rien ! 800 mineurs ont ainsi été accompagnés par ce dispositif en 2021 mais nous devrons trouver d’autres solutions en matière de protection de l’enfance durant les années qui viennent. Nous n’en sommes qu’au début.

Que répondez-vous face aux commentaires dénonçant des différences de traitement entre ces migrants et les personnes ayant fui l'Ukraine ?

Pour nous, Croix-Rouge française, l’inconditionnalité de l’accueil prime sur toute autre considération. Nous ne faisons aucune distinction entre les uns et les autres. Il se trouve que l’Etat français nous a missionnés pour proposer un hébergement et un accompagnement d’urgence aux personnes fuyant l’Ukraine. Ce que nous faisons aujourd’hui, dans le cadre d’une collecte exceptionnelle et d’une mission particulière, doit servir notre action envers tous les publics, être capitalisé et permettre l’amélioration de nos pratiques. Mais il y a, bien sûr, des leçons à tirer de cette situation. Tout homme, toute femme ayant fui des violences devrait bénéficier de la même humanité, de la même protection. Ma conviction, c’est que les questions migratoires sont devant nous.Elles préoccupent d’ailleurs toutes les sociétés Croix-Rouge et Croissant-Rouge en Europe car nous sommes sur le chemin d’exil de bien des migrants et donc, particulièrement concernés. Les conséquences de la crise ukrainienne vont se faire sentir dans les mois qui viennent sur le plan économique et alimentaire et vont amplifier les flux migratoires. Le phénomène va par ailleurs s’aggraver avec la crise climatique et les autres conflits dans le monde.

Notre Mouvement international est en première ligne, présent d’un bout à l’autre du parcours migratoire. Nous avons à ce titre une responsabilité, en cohérence avec la stratégie mondiale de la Fédération internationale sur la migration mise en œuvre dès 2018, celle notamment de coopérer davantage à l’échelle européenne et internationale.

Je le répète, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire il y a quelques mois dans une tribune commune avec la Croix-Rouge britannique, deux enjeux doivent guider notre action : une réponse humanitaire à la hauteur des souffrances des personnes exilées et une législation internationale plus protectrice. Cela vaut pour la France et j’aurai probablement l’occasion d’évoquer ces questions avec le nouveau gouvernement, habité des images et des visages croisés dans les Hauts-de-France.