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Présentation orale de la Commission d’enquête sur le Burundi, 23 septembre 2021

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Бурунди
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UN HRC
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48e session du Conseil des droits de l'homme
Dialogue interactif sur le Burundi

Madame la Présidente,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

J’ai aujourd’hui l’honneur de vous présenter, conformément à la résolution 45/19 de ce Conseil adoptée le 6 octobre 2020, le rapport final de la Commission d’enquête sur le Burundi. Le rapport a été publié le 16 septembre 2021 conjointement aux conclusions détaillées de la Commission (A/HRC/48/CRP.1). Les deux documents sont disponibles sur la page internet de la Commission et sur le site du Conseil.

Au cours de ce cinquième terme de mandat, la Commission a concentré ses enquêtes sur les violations de droits de l’homme les plus graves commises au Burundi depuis l’arrivée au pouvoir du Président Ndayishimiye en juin 2020. Elle a également analysé globalement l’évolution de la situation de droits de l’homme pendant cette période, y compris au niveau des fondements économiques de l’État, et mis à jour son analyse des facteurs de risque.

Ce rapport se base sur plus de 170 témoignages de victimes et témoins de violations des droits de l’homme et d’autres sources, qui ont été recueillis depuis septembre 2020 malgré des difficultés supplémentaires rencontrées en raison des restrictions de circulation liées au Covid-19 et à la crise de liquidités qui a affecté les Nations Unies. Ce sont donc plus de 1 770 entretiens qui ont été réalisés depuis l’établissement de la Commission en 2016.

Une fois encore, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont apporté de précieuses informations à la Commission malgré les risques encourus.

Excellences,

En dépit des nombreuses promesses du Président Ndayishimiye d’améliorer durablement la situation des droits de l’homme au Burundi, seuls des gestes symboliques, certes appréciés, et des mesures souvent controversées ont été posés jusqu’à présent. Ceux-ci ne sont ni suffisants ni adéquats pour avoir un impact durable et profond sur la situation des droits de l’homme. Rien n’a été entrepris pour rouvrir véritablement l’espace démocratique et garantir pleinement le respect des libertés fondamentales d’expression, d’information et d’association. La façade de normalisation masque une situation qui reste très préoccupante en matière des droits de l’homme.

À l’issue du processus électoral de 2020, le nombre et la fréquence des violations ont initialement diminué. Cependant, depuis juin 2021, on constate une recrudescence des violations, qui s’inscrivent principalement dans le cadre de la lutte contre les groupes armés qui seraient présumés responsables d’attaques perpétrées à travers le pays depuis août 2020 jusqu’à ces derniers jours. Pour rappel, depuis cette date, des incidents sécuritaires ont été régulièrement signalés, notamment des affrontements armés et des échanges de tirs entre des membres des forces de sécurité, parfois appuyés d’Imbonerakure, et des groupes d’hommes armés souvent non identifiés. Des attaques aveugles contre des civils ont également eu lieu, notamment le 25 mai 2021 à Bujumbura où des grenades ont été lancées dans des lieux publics très fréquentés. Les autorités burundaises ont légitimement recherché les personnes impliquées dans ces attaques ou soupçonnéesde collaborer avec des groupes rebelles. En pratique, ce sont principalement des militaires de l’ancienne armée burundaise (ex-FAB) et des membres de partis d’opposition (notamment du Congrès national pour la liberté (CNL)) qui ont été ciblés, ainsi que dans une moindre mesure des rapatriés.

Tandis que certaines de ces personnes ont été exécutées, d’autres ont été victimes de disparition forcée, d’arrestation et de détention arbitraires pendant lesquelles elles ont souvent été torturées afin de les faire avouer ou révéler des informations sur les groupes rebelles et leurs opérations. Des proches des personnes arrêtées ou recherchées, notamment des femmes, ont également été arrêtées et poursuivies pour ne pas les avoir dénoncées.

La Commission n’a pas pu déterminer au cas par cas si les soupçons des autorités quant à leur implication dans les attaques étaient fondés sur des preuves objectives ou seulement liés à leur appartenance politique ou leur profil ethnique, et donc relevant plutôt de la répression des opposants politiques. Elle considère néanmoins avoir des motifs raisonnables de croire qu’un nombre significatif d’opposants politiques ont été victimes de violations sous couvert de la traque des responsables d’attaques armées. En tout état de cause, rien ne peut justifier de telles pratiques. La lutte légitime contre la criminalité et le terrorisme doit être menée dans le plus strict respect des droits de l’homme.

C’est aussi dans ce contexte que des personnes libérées à partir de la fin du mois d’avril 2021 en vertu de la grâce présidentielle accordée à plus de 5 000 prisonniers en mars 2021 ont été enlevées et portées disparues.

Les principaux auteurs sont des agents du Service national de renseignement (SNR), placés sous la responsabilité directe du Président Ndayishimiye, des policiers relevant notamment des Groupements mobiles d’intervention rapide (GMIR), et des Imbonerakure. Ils ont continué à agir en bénéficiant d’une impunité quasi totale.

Mesdames et Messieurs, L’espace démocratique demeure fermé et étroitement contrôlé par les autorités burundaises en dépit des quelques gestes encourageants à travers lesquels ces dernières ont cherché à donner des gages à la communauté internationale.

Au niveau des médias, sous l’impulsion directe du Président Ndayishimiye, certains médias suspendus ont été autorisés par le Conseil national de la Communication (CNC) à reprendre leurs activités, mais sous certaines conditions. On peut citer la Radio Bonesha et la Télévision Isanganiro. La BBC a quant à elle été invitée à faire une nouvelle demande d’accréditation. Toutefois, aucun développement n’a été enregistré du côté de Voice of America. Le Gouvernement n’a pas non plus fait le moindre geste envers les médias burundais en exil tels que la Radio publique africaine ou la Télé Renaissance.

Le 24 décembre 2020, les quatre journalistes du Groupe de presse Iwacu qui avaient été condamnés pour avoir fait leur travail de recherche d’informations sur des incidents de sécurité, ont été libérés par grâce présidentielle après avoir passé plus de 14 mois en détention. Cependant, leur innocence n’a pas été reconnue et leur condamnation n’a pas été annulée.

Les journalistes qui ont osé questionner ou critiquer le Gouvernement ou ses actions ont continué d’être vilipendés, intimidés ou menacés, y compris par le Président Ndayishimiye lui-même. Par exemple, ce dernier s’en est pris violemment publiquement à la fin août 2021 à deux journalistes burundais en exil dont un parce qu’il avait mis en doute les informations officielles sur la situation du Covid-19 au Burundi.

Le CNC continue de contrôler étroitement le contenu des médias et le travail des journalistes et il n’hésite pas à les rappeler à l’ordre en cas d’articles « mal conçus ». Au final, l’autocensure reste la règle pour les journalistes présents dans le pays car ils travaillent sous la menace des sanctions du CNC, mais également de possibles poursuites criminelles abusives et arbitraires. De plus, le Gouvernement prévoit de renforcer encore son contrôle en révisant la loi sur la presse de 2018 afin d’empêcher la circulation sur les réseaux sociaux de « contenus contraires à la culture burundaise ».

La situation est globalement similaire pour ce qui est de la société civile. Quelques gestes positifs sont à relever, comme la libération des défenseurs des droits de l’homme Germain Rukuki et Nestor Nibitanga, ou encore l’autorisation donnée à l’organisation PARCEM (Parole et actions pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités) de reprendre ses activités après une suspension de presque deux ans pour avoir « terni l’image du pays » en ayant présenté un rapport critique sur les conditions socio-économiques du Burundi.

Cependant, en parallèle, le Gouvernement a pris de nouvelles mesures visant à renforcer son contrôle sur les activités et le fonctionnement des organisations de la société civile. Désormais, c’est le Gouvernement qui fixe les frais de fonctionnement maximum au sein des projets financés par les partenaires techniques et financiers ainsi que le montant des salaires versés dans le cadre de ces projets, qui doivent être alignés sur ceux des établissements publics burundais.

Le Gouvernement cherche également à contrôler les réalisations des ONGs étrangères, la composition ethnique de leur personnel, les salaires des expatriés, et exige que les comités de recrutement qu’il a instaurés soient obligatoirement impliqués dans les procédures d’embauche. Des premières visites de vérification sur le terrain ont été menées.

Il est évident que les autorités burundaises considèrent que la société civile n’existe que pour les assister et appuyer les projets gouvernementaux, niant ainsi le principe même de la liberté d’association qui inclut la liberté de décider des buts poursuivis et des moyens d’y parvenir.

L’hostilité et la méfiance des autorités envers la société civile persiste. Notons par exemple qu’un avocat, Tony Germain Nkina, a été arrêté le 13 octobre 2020 et détenu visiblement en lien avec ses activités passées au sein de l’organisation des droits de l’homme APRODH (suspendue en 2015 et radiée en 2016). Le 15 juin 2021, à l’issue de son procès en première instance, il a été déclaré coupable de « collaboration avec les rebelles qui ont attaqué le Burundi » et condamné à cinq ans d’emprisonnement. Son procès en appel a eu lieu le 20 septembre 2021 et la Commission espère que la décision rendue sera juste et équitable.

Il est également important de rappeler que 12 journalistes, avocats et représentants d’organisations de défense des droits de l’homme en exil depuis 2015 ont été condamnés in absentia le 23 juin 2020 à la prison à perpétuité pour leur implication alléguée dans la tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015. Conformément à la décision de la Cour suprême, rendue publique seulement le 2 février 2021, tous leurs biens ont été saisis et vendus aux enchères en novembre 2020 afin de couvrir les 2,8 millions de dollars de dommages et intérêts octroyés notamment à l’État et au parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie).

À l’issue des élections, les nombreuses restrictions abusives qui visaient les partis d’opposition, notamment le CNL (Congrès national pour la liberté), telles que l’interdiction d’organiser des rassemblements et des réunions ou d’ouvrir des permanences, se sont amenuisées. Des incidents ont néanmoins été rapportés dans plusieurs provinces où des permanences du CNL ont été saccagées, notamment en juin 2021, et il reste difficile par endroits pour ce parti d’organiser des réunions.

Des membres du CNL ont été arrêtés et détenus arbitrairement sous divers prétextes en représailles de leurs activités politiques, telles que collecter des contributions auprès des membres du parti pour construire des permanences ou tenir des réunions qualifiées d’« illégales ». Certains ont été torturés ou maltraités à cette occasion.

D’autres membres actifs du CNL ont disparu après avoir été emmenés par des agents de l’État ou des Imbonerakure, comme Oscar Nahimana qui était le vice-président de la commission électorale communale indépendante de la commune Kirundo, province Kirundo, porté disparu depuis le 28 septembre 2020 ; et Elie Ngomirakiza, le représentant du CNL au niveau de la commune de Mutimbuzi, province Bujumbura (rural), vu pour la dernière fois le 9 juillet 2021.

À la lumière des cas récents de disparition forcée qui ont été portés à la connaissance des autorités burundaises et de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), et qui viennent s’ajouter aux quelque 168 cas transmis officiellement depuis 2016 aux autorités burundaises par le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, la Commission s’étonne que le Président Ndayishimiye ait affirmé ne pas être au courant de cas de disparition forcée dans le pays1 . Elle s’inquiète d’autant plus de la signification de cette déclaration, à savoir que les autorités n’entament aucune action ou mesure effective pour enquêter sur ces disparitions et éclairer les familles sur le sort de leur proche.

Si les discours de haine envers les opposants ont été globalement remplacés par des appels officiels à la tolérance politique, des propos les assimilant à des « ennemis du pays » ressurgissent régulièrement, y compris de la part du Président Ndayishimiye. Par ailleurs, des marches d’Imbonerakure scandant des chants hostiles aux opposants politiques ont continué de se dérouler dans des collines rurales. Le niveau de violence politique a certes diminué, mais les Imbonerakure restent mobilisables à tout moment.

Mesdames et Messieurs,

Au 30 juin 2021, 164 990 réfugiés burundais ont été rapatriés dans le cadre du programme tripartite d’appui au retour volontaire démarré en 2017, principalement rentrés de Tanzanie (129 535) et du Rwanda (28 212). À la même date, 276 275 Burundais restaient encore officiellement réfugiés dans les pays limitrophes. Le climat d’hostilité et de suspicion envers les rapatriés a diminué dans une certaine mesure, notamment grâce à des instructions qui auraient été données aux responsables administratifs de leur garantir un meilleur accueil afin de permettre le retour massif des réfugiés voulu par le Gouvernement. Cependant, la Commission a reçu des témoignages indiquant que des rapatriés ont continué à faire face à la méfiance de certaines autorités locales et d’Imbonerakure.

Plus globalement, les rapatriés font face à de grandes difficultés pour leur réintégration socio-économique, notamment en raison de la pauvreté chronique et des vulnérabilités préexistantes dans les zones d’accueil. En effet, la situation globale de la population burundaise demeure préoccupante. À titre d’exemple, rappelons qu’en 2020, le Burundi occupait la 185ième place sur les 189 pays classés sur l’indice de développement humain2 , et que selon la Banque mondiale, en 2019, 83,4% de la population vivait sous le seuil de pauvreté. De manière plus concrète, cela se traduit par le fait que 2,3 millions de personnes vivant au Burundi auront besoin d’une assistance humanitaire en 2021, principalement pour couvrir leurs besoins alimentaires.

Par ailleurs, les Burundais sont encore contraints de verser régulièrement des contributions afin de financer la construction d’infrastructures publiques, contribuer au développement ou soutenir le parti au pouvoir, sous peine de se voir refuser l’accès à des services ou à des lieux publics, ou dénier l’octroi de documents administratifs. Le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique a lui-même reconnu et dénoncé l’existence de telles pratiques par certaines autorités communales et provinciales.

Le nombre d’incidents violents contre la population impliquant des Imbonerakure a diminué dans plusieurs provinces suite à des ordres qui leur auraient été donnés à cet effet et à l’appel du Président lui-même à se concentrer sur le développement du pays et d’arrêter de se substituer aux forces de l’ordre et de sécurité. Cependant, dans les régions frontalières et celles qui ont été le théâtre d’attaques armées, ils sont restés mobilisés par les autorités pour assurer la sécurité, notamment au sein des comités mixtes de sécurité. Ainsi, le 30 juin 2021, des forces de défense ont reçu l’ordre écrit de s’appuyer sur les « mouvements politiques armés » afin de mettre hors d’état de nuire les bandes armées, reconnaissance quasi officielle du rôle accordé aux Imbonerakure comme supplétifs des forces de sécurité3 . Ils ont donc continué leurs rondes nocturnes, souvent propices à des abus et des violences contre la population.

De nombreux cadavres ont continué d’être retrouvés régulièrement dans l’espace public. Les autorités locales les ont inhumés immédiatement sans identifier les personnes décédées ni enquêter sur les causes des décès et les éventuels responsables. Un tel comportement bafoue l’obligation de l’État burundais de protéger les droits à la vie et à un recours utile. Le silence persistant des autorités burundaises face à ce phénomène peut même être interprété comme un acquiescement implicite de ces pratiques.

Mesdames et Messieurs,

Le Président Ndayishimiye et son Gouvernement ont enfin commencé à reconnaître l’existence de certains dysfonctionnements du système judiciaire qui avaient été documentés par la Commission, notamment la prévalence de la corruption et la mauvaise exécution des décisions de justice. Toutefois, les mesures prises pour adresser ces défis sont loin d’être adéquates; elles peuvent même se révéler pernicieuses et contre-productives sur le long terme. Elles visent principalement à renforcer le contrôle du Judiciaire par l’Exécutif, officiellement pour résoudre les problèmes, mais ce faisant, elles remettent en cause le principe même de l’indépendance de la justice. Entre autres, on peut ainsi noter que le Conseil supérieur de la magistrature, présidé par le Chef de l’État, est désormais chargé de contrôler la qualité des décisions judiciaires et leurs mesures d’exécution et qu’il peut même prendre des mesures de « redressement » de ces décisions4. De même, les autorités jusqu’au plus haut niveau ont publiquement critiqué à de nombreuses reprises les magistrats burundais, les accusant de corruption et d’être à la source de nombreux maux dont souffre le pays tout en les menaçant de destitution. En revanche, ces mêmes autorités sont restées silencieuses sur les questions d’interférence par les membres du CNDD-FDD et les proches du pouvoir dans les procédures judiciaires, autre problème clef du système judicaire.

Par ailleurs, aucune avancée significative dans la lutte contre l’impunité n’a été enregistrée. Les premières condamnations de l’été 2020 n’ont pas été suivies par d’autres qui auraient marqué une vraie rupture avec le passé. Les autorités persistent à nier les violations des droits de l’homme commises depuis 2015 et ce faisant, les victimes et leurs familles ont toujours peur de porter plainte par crainte de représailles ou n’en voient simplement pas l’utilité.

 En ce qui concerne les malversations financières et économiques, le Président Ndayishimiye et son Gouvernement ont proclamé que la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance, endémiques dans le pays, serait l’une de leurs priorités. À l’instar des autres domaines, peu de mesures ont été prises pour concrétiser ces promesses, si ce n’est quelques gestes ponctuels et des décisions dont l’efficacité pour éradiquer la corruption reste à démontrer. Il est en effet significatif que parmi les premières décisions du Gouvernement se trouve le projet d’abolir la Cour spéciale et la Brigade spéciale anti-corruption et d’instituer à leur place des sections anti-corruption au sein des parquets et des chambres anti-corruption auprès des juridictions ordinaires. Certes, les résultats des institutions spécialisées étaient mitigés, mais l’existence d’institutions spécialisées est généralement considérée comme un des éléments clefs de la lutte contre la corruption. Une autre décision a été de destituer le 1er mai 2021 la ministre du Commerce, du Transport, de l’Industrie et du Tourisme, soupçonnée de détournement de fonds, mais sans ouvrir de poursuites pénales individuelles à son encontre.

Le Gouvernement a également décidé de suspendre tous les contrats miniers en cours afin de les renégocier à l’avantage du Burundi. La Commission avait effectivement constaté que l’obtention de ces contrats avait été largement conditionnée au versement de sommes importantes à des personnes haut placées, notamment l’ancien Président Nkurunziza et certains de ses proches, et que le manque de transparence sur les aides annuelles prévues pour le développement communautaire, conjugué à l’absence de réalisations visibles sur le terrain, posaient des questions sur l’existence de possibles détournements. Les renégociations des concessions minières doivent avoir lieu dans la plus grande transparence pour prévenir la corruption sous peine de devenir propices à de nouveaux versements illicites.

La Commission s’interroge également sur la crédibilité de certaines prises de position du Président Ndayishimiye sur toutes ces questions, notamment ses contradictions et ses revirements au sujet de la mise en œuvre de l’obligation constitutionnelle des mandataires publics de déclarer leurs biens ; ou encore sa déclaration publique autorisant les fonctionnaires à accepter les pots-de-vin pour les reverser dans les caisses de l’État afin de « contribuer au développement du pays ».

Une autre promessecentrale du Président Ndayishimiye était de restaurer l’État de droit, sérieusement détérioré depuis des années. Une fois encore, rien n’a été fait pour faire cesser durablement son érosion. La Constitution, les lois et les procédures ne sont pas toujours respectées par des autorités qui autorisent même des transgressions telles que l’absence de déclaration de biens ou le non-respect des quotas ethniques au sein de certaines institutions étatiques. Des autorités prennent des décisions en dehors de leur domaine de compétence et sans respecter les procédures établies, comme par exemple ce fut le cas avec le limogeage collectif des comptables communaux et des percepteurs de Bujumbura (Mairie) décidé par le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique. De même, des décisions légales ne sont pas exécutées, particulièrement des décisions judiciaires de remise en liberté provisoire ou définitive.

Finalement, la Commission a mis à jour son analyse des facteurs de risque d’atrocités criminelles qui indique que les huit facteurs de risque communs perdurent, même si certains indicateurs ont évolué. Par exemple, le facteur n°2 relatif à l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme, récentes et passées, et le facteur n°3 lié à la faiblesse générale des structures de l’État, notamment du système judiciaire ni impartial ni indépendant, sont des facteurs de risque structurels qui demeurent tels quels en l’absence de réformes. L’absence de facteurs atténuants (facteur n°6) en raison de la fermeture de l’espace démocratique et du refus des autorités de dialoguer et de coopérer sur les questions relatives aux droits de l’homme reste très préoccupante.

Madame la Présidente,

La Commission regrette que la situation des droits de l’homme au Burundi n’ait pas évolué de manière significative depuis l’investiture du Président Ndayishimiye, et que des violations graves des droits de l’homme, dont certaines pourraient constituer des crimes contre l’humanité, continuent. Les déclarations et annonces publiques, les quelques gestes d’ouverture et décisions enregistrés jusqu’à ce jour sont certes bienvenus mais ils ne permettent pas de considérer pour autant que le Burundi ait la volonté de s’acquitter de ses obligations en vertu du droit international des droits de l’homme.

Il est primordial que la communauté internationale maintienne sa vigilance sur la situation des droits de l’homme dans le pays et continue d’encourager le Gouvernement burundais à prendre des mesures de nature à véritablement améliorer la situation. Pour ce faire, elle ne peut malheureusement pas s’appuyer sur la seule Commission nationale indépendante des droits de l’homme dont l’accréditation au statut A est encourageante mais qui doit encore démontrer dans la pratique qu’elle est en mesure de fonctionner conformément aux principes de Paris. Pour ce faire, elle doit notamment se saisir désormais de tous les cas de violations, y compris les plus sensibles, et cela même si elle exerce sa mission dans un contexte difficile et sensible qui nécessite plus que jamais une Commission nationale indépendante et opérationnelle.

Le Burundi a traversé plusieurs cycles de violence au cours de son histoire récente, qui ont touché les familles burundaises sur plusieurs générations et ont brisé de nombreuses vies, et se sont reproduites régulièrement en l’absence de mesures prises pour assainir le passé. L’histoire d’un Burundais rencontré par la Commission illustre parfaitement cet état de fait. Il est né à la fin des années 1980 dans un camp de réfugiés car ses parents avaient déjà dû fuir le pays en raison des violences. Au milieu des années 2000, il est rentré au Burundi et en 2015 il a manifesté contre le troisième mandat du Président Nkurunziza, ce qui lui a valu d’être arrêté et torturé. Il a dû fuir à nouveau. Entre temps, comme il avait refusé d’adhérer au CNDD-FDD auquel l’un de ses proches était affilié, sa relation avec ce proche a été rompue. Porté par l’espoir de changement suscité par les élections de 2020, il est retourné au Burundi pour évaluer la situation, mais face à la suspicion manifestée à l’égard des rapatriés, il a été contraint de fuir encore une fois. Comme il l’a expliqué : « c’est très difficile de retourner au Burundi vu la situation qui y prévaut. On est inquiet … Je n’ai plus de contact avec personne au Burundi ».

Il faut rompre le cycle de la violence au Burundi. La Commission a montré que le niveau d’intolérance politique ne s’est pas amélioré au cours de ces cinq dernières années. La Commission recommande donc aux membres de ce Conseil de se donner les moyens de suivre de près et de manière objective les développements et la situation des droits de l’homme au Burundi par un mécanisme international indépendant sous l’égide des Nations Unies. L’important est, sur la base de l’obligation de protéger, de ne pas abandonner les Burundais ; de mettre fin à l’invisibilité et à l’isolement de victimes, de pouvoir continuer à leur donner une voix et permettre que leurs souffrances soient connues, reconnues et remédiées ; mais également contribuer à ce qu’à terme, les principaux auteurs des crimes contre l’humanité et des violations graves des droits de l’homme puissent répondre de leurs actes et que justice soit rendue aux victimes.

Je vous remercie de votre attention

  1. Interview accordée à RFI le 14 juillet 2021.

  2. Rapport.

  3. Voir notamment le document daté du 30 juin 2021, ordre écrit interne aux forces de défense de s’appuyer sur les « mouvements politiques armés » afin de mettre hors d’état de nuire les bandes armées, disponible en annexe V du rapport A/HRC/48/68.

  4. Loi organique n° 1/02 du 23 janvier 2021 portant modification de la loi organique n°1/13 du 12 juin 2019 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.