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Cameroun : Les survivants d’une agression militaire attendent justice

Pays
Cameroun
Sources
HRW
Date de publication
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Parmi les victimes, vingt femmes ont subi des viols lors d’une attaque perpétrée en mars 2020 à Ebam

(Nairobi) – Lors d’une attaque commise par des soldats camerounais le 1er mars 2020, au moins 20 femmes – dont quatre femmes handicapées – ont été violées, un homme tué et 35 autres arrêtés, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. L’attaque contre le village d’Ebam, dans la région du Sud-Ouest, a été l’une des pires perpétrées par l’armée camerounaise ces dernières années.

Les soldats ont également incendié une maison, pillé de nombreuses propriétés et s’en sont violemment pris aux hommes qu’ils ont emmenés dans un camp militaire. D’après les informations obtenues par Human Rights Watch, il n’y a pas eu d’enquête véritable et les responsabilités n’ont pas été établies.

« La violence sexuelle et la torture sont des crimes odieux sur lesquels les gouvernements ont l’obligation d’enquêter immédiatement, de manière efficace et indépendante, et qui exigent de faire traduire les responsables en justice », a déclaré Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Un an plus tard, les survivants de l’attaque d’Ebam ont désespérément besoin de justice et de réparations et sont choqués de voir que ceux qui leur ont fait subir des violences sont libres et que leurs actes sont restés sans conséquence. »

Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun sont en proie à des violences depuis fin 2016, date à laquelle des séparatistes armés ont cherché à obtenir l’indépendance des régions anglophones minoritaires du pays.

Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone entre le 1er août et le 5 janvier 2021 avec 20 survivantes de viol, quatre hommes arrêtés et passés à tabac, quatre témoins de l’attaque, deux proches de l’homme tué, un médecin qui a examiné les victimes du viol, deux travailleurs humanitaires qui ont aidé les victimes et deux fonctionnaires de l’ONU au courant de l’incident. Human Rights Watch a également consulté des informations confidentielles d’une ONG internationale et du Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique (CHRDA), une organisation de défense des droits camerounais basée à Buea, dans la région du Sud-Ouest, informations qui corroborent ses propres conclusions.

Human Rights Watch les a transmises à de hauts responsables de la présidence camerounaise dans une lettre en date du 13 janvier, dans laquelle il était demandé de répondre à des questions spécifiques. Les responsables camerounais n’ont toutefois pas encore répondu.

Des témoins ont déclaré que plus de 50 soldats sont entrés à pied à Ebam, dans la division de Manyu, située dans la région du Sud-Ouest, le 1er mars 2020 vers trois heures du matin, laissant leurs véhicules à la lisière du village. Ils ont pénétré par effraction dans la quasi-totalité des maisons, où ils ont volé de l’argent, entre autres, et forcé les hommes à se rendre à l’extérieur. Certains soldats ont capturé des hommes dans le centre du village, tandis que d’autres se sont livrés à des agressions sexuelles contre des femmes, dont quatre femmes handicapées, dans la plupart des cas à leur domicile.

« Cinq soldats portant un masque sont entrés chez moi », a relaté une femme âgée de 40 ans à Human Rights Watch. « Il faisait noir et j’étais seul. Ils ont fouillé la maison et volé mon téléphone et mon argent. L’un d’eux a abusé de moi. Il a dit: ‘‘Si tu ne couches pas avec moi, je te tuerai !’’ J’avais trop peur pour dire ou faire quoi que ce soit. Après le viol, j’ai couru me cacher dans la brousse où j’ai passé deux mois. Je suis toujours sous le choc et traumatisée. »

Aucune des victimes de viol interrogées n’a pu recevoir de soins médicaux immédiatement après l’attaque en raison d’une série d’obstacles, notamment parce qu’elles étaient déplacées de leurs foyers, le manque d’infrastructures médicales, le coût pour se rendre vers de tels lieux, le coût des soins médicaux, et la crainte de la stigmatisation et du rejet. Des soins médicaux ont été dispensés à certaines, comme le dépistage des maladies sexuellement transmissibles, pour la première fois seulement entre fin juillet et mi-août, voire plus tard.

Un médecin ayant dépisté les survivantes en août a déclaré qu’elles décrivaient des symptômes compatibles avec le stress posttraumatique et la dépression : peur, anxiété, insomnie et incapacité à s’acquitter de tâches quotidiennes. Les survivantes de viol ont déclaré qu’elles luttaient pour reconstruire leur vie et subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Des témoins ont déclaré qu’à la fin de l’attaque, qui a duré trois heures, les soldats ont emmené au moins 36 hommes dans une base militaire à Besongabang, à environ huit kilomètres de là, où ils ont été roués de coups à plusieurs reprises, des passages à tabac d’une violence relevant de la torture. Ces hommes ont été détenus à la base pendant un jour, puis transférés au poste de gendarmerie de Mamfe, la principale ville de la division de Manyu.

« Les soldats nous ont fait monter à bord d’un véhicule militaire et conduits à leur camp », a expliqué un homme âgé de 25 ans. « J’avais les mains liées derrière le dos. Quand nous sommes arrivés sur place, les soldats m’ont passé à tabac. Ils m’ont frappé aux jambes très violemment, j’en ai encore des cicatrices. »

Quatre des détenus à la base militaire de Besongabang ont témoigné que des soldats sont venus chercher Ojong Thomas Ebot, âgé de 34 ans, dans leur cellule, et qu’il n’est jamais revenu. Selon eux, les soldats ont tué Ojong plus tard, dans la forêt entourant Ebam.

Six autres témoins ont déclaré avoir vu, vers 7 heures du matin, un camion militaire revenir à Ebam et repartir peu après. Les habitants ont découvert le corps d’Ojong moins d’une heure plus tard. Deux de ses proches ont déclaré l’avoir enterré le même jour.

Âgé de 28 ans, un étudiant et membre de sa famille a déclaré : « Ils ont ramené le corps à la maison. J’ai vu trois blessures par balle : une à la tête, qui était la pire ; une à la poitrine ; et une au coude. Son crâne était presque détruit. C’était douloureux à voir. »

Human Rights Watch, qui a examiné des photographies montrant le lieu exact où Ojong a été inhumé à Ebam, les a corroborées à l’aide de récits de membres de la famille et d’habitants du village.

Des témoins ont déclaré que l’opération militaire a été menée en représailles contre des civils suspectés de coopérer avec des combattants séparatistes armés et de les abriter. Les soldats auteurs de viols ont également laissé entendre, dans leurs insultes verbales contre leurs victimes, qu’ils les commettaient en partie pour les punir de leur affiliation présumée avec des combattants séparatistes armés.

Une femme de 28 ans, victime de viol et témoin de l’attaque, a déclaré à Human Rights Watch : « Les militaires m’ont demandé, ainsi qu’aux autres villageois : ‘‘Où cachez-vous les Ambas [séparatistes] ?’’ Nous avons dit que nous ne savions pas où les Ambas [séparatistes] se trouvaient. Alors, ils [les soldats] ont dit : ‘‘La prochaine fois que nous reviendrons ici, nous tirerons sur tout le monde si vous ne nous montrez pas les Ambas [séparatistes] maintenant’’. »

L’attaque d’Ebam a été perpétrée 16 jours après le massacre de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest, également imputé à des soldats, de 21 civils, dont une femme enceinte et 13 enfants, provoquant un tollé dans l’opinion publique au Cameroun et au-delà.

L’attaque n’a pas eu d’écho véritable pendant un an, en partie à cause de la stigmatisation et de la crainte des représailles qui découragent les survivantes de violences sexuelles d’évoquer leurs expériences. Le manque de témoignages de leur part suggère également que les incidents de violence sexuelle commis par des soldats sont probablement beaucoup plus nombreux que les cas recensés, a conclu Human Rights Watch.

Human Rights Watch documente les violations généralisées des droits humains commises par les forces de sécurité camerounaises dans les régions anglophones depuis 2017, y compris les actes de torture et les violences sexuelles. Les responsabilités pour les abus perpétrés par des militaires dans les régions anglophones au cours des quatre dernières années ont rarement été établies, voire pas du tout, et les atrocités commises par des membres des forces armées nationales restent en grande partie impunies.

Le gouvernement camerounais a des obligations juridiques en vertu du droit international pour veiller à ce que les responsables de violences sexuelles et autres crimes graves tels que le meurtre, la torture et les traitements inhumains fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires. Il a également pour obligation d’offrir des réparations, telles qu’un dédommagement financier, un soutien aux moyens de subsistance ou un accès à des soins médicaux et psychologiques à long terme pour les survivantes de telles attaques.

« Les autorités camerounaises devraient mener d’urgence une enquête indépendante sur l’attaque d’Ebam, avec le soutien de l’ONU et de l’Union africaine, et rendre ses conclusions publiques », a conclu Ida Sawyer. « Garantir justice et réparations sera essentiel pour dissuader de futures attaques et aider les survivantes à surmonter cette épreuve.

Informations supplémentaires sur l’attaque à Ebam

Les cycles de violence au Cameroun

Depuis quatre ans, les régions anglophones du Cameroun ont sombré dans un cycle meurtrier de violences qui a fait plus de 3 500 victimes et provoqué le déplacement de leurs foyers de plus de 700 000 habitants. Trois millions de personnes y ont besoin d’aide humanitaire. Human Rights Watch estime à plus de 3500 le nombre de tués depuis fin 2016.

La crise a été marquée par des violations généralisées des droits humains par les forces gouvernementales et les séparatistes armés. Les forces de sécurité ont tué des civils, rasé des centaines de maisons, agressé sexuellement des femmes et procédé à des arrestations arbitraires, et torturé des centaines de combattants séparatistes présumés. Des séparatistes armés ont également tué des civils, attaqué des travailleurs humanitaires et des écoles, enlevé des centaines de personnes, y compris des étudiants et des enseignants, détruit des maisons et torturé des opposants présumés.

En mars 2020, les Forces de défense du Cameroun du Sud (SOCADEF), une organisation séparatiste, ont appelé à un cessez-le-feu au moment où la pandémie de COVID-19 a été déclarée, décision saluée par le porte-parole du Secrétaire général de l’ONU. Le 16 juin, des responsables gouvernementaux ont tenu des pourparlers de paix dans la capitale, Yaoundé, avec les leaders du Gouvernement intérimaire, une importante organisation séparatiste dirigée par Sisiku Julius Ayuk Tabe, qui avait déjà été condamné à la perpétuité et se trouve actuellement dans un quartier de haute sécurité de la prison de Yaoundé. Cependant, ni l’appel à un cessez-le-feu ni les pourparlers de paix n’ont mis fin à la violence contre les civils.

Le 10 septembre 2019, dans un contexte de violences croissantes et sous forte pression de la communauté internationale, le président Paul Biya a appelé à l’ouverture d’un « dialogue national », une série de discussions à l’échelle nationale visant à résoudre la crise. Le dialogue s’est achevé par l’adoption d’un statut spécial pour les deux régions anglophones et la remise en liberté de centaines d’individus arrêtés en relation avec les troubles dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Le 24 octobre 2020, des hommes armés ont pris d’assaut une école à Kumba, dans la région du Sud-Ouest, et ouvert le feu dans une salle de classe, tuant sept enfants et en blessant 13 autres.

Le 10 janvier, des soldats de l’armée camerounaise ont tué au moins neuf civils dans le village de Mautu, dans la région anglophone du Sud-Ouest. Parmi les victimes figuraient une femme et un enfant. Les soldats ont également pillé des dizaines de foyers et menacé les habitants.

Violences sexuelles à Ebam

Human Rights Watch s’est entretenu avec 20 femmes, âgées de 23 à 42 ans, qui ont déclaré avoir été violées par des soldats lors de l’attaque d’Ebam le 1er mars. Leurs récits ont été corroborés par un médecin qui les a examinées et soignées et un travailleur humanitaire, membre d’un groupe international qui a fourni des conseils psychologiques et une assistance matérielle aux survivantes.

Les viols, qui semblent avoir fait délibérément partie de l’attaque perpétrée par les soldats contre Ebam, ont été commis lors de fouilles à domicile.

« Un soldat portant un masque est entré par effraction chez moi, où je me trouvais avec ma petite fille », a raconté une étudiante âgée de 23 ans. « Il a pointé une arme sur moi, a fouillé partout. Il m’a parlé en français. Je parle un peu le français. Il m’a ordonné de me déshabiller et m’a violée. Il a dit que je devais rester silencieuse et ne pas crier ; sinon, il me tuerait. J’avais peur et je l’ai laissé avoir une relation sexuelle avec moi parce qu’il me menaçait. Après avoir terminé, il a pris mon argent, mon téléphone, ma nourriture et mes boissons et est reparti. J’ai couru me cacher dans la brousse où je suis restée deux semaines. »

Une femme âgée de 45 ans, atteinte d’un handicap physique et qui a des difficultés auditives et d’élocution, a déclaré avoir été violée à l’extérieur de l’église où elle s’était rendue avec sa fille :

Il était environ 5 h 30. Je m’étais réveillé tôt pour aller à l’église avec ma fille de 18 ans… Deux soldats [y] sont entrés. L’un m’a attrapée par la main et tiré dehors. J’ai commencé à pleurer. Ma fille pleurait aussi... L’un d’eux m’a arraché ma robe et violée dans l’herbe. Il a abusé de moi pendant plus de 15 minutes. Il a fouillé mes vêtements, a pris mon téléphone et mon argent, avant de repartir.

Au moins trois autres femmes présentant des handicaps, notamment physiques, auditifs et visuels, ont été violées.

Une femme âgée de 27 ans a témoigné :

J’ai un handicap physique à la suite d’un accident. Je ne peux pas bien marcher. Une de mes jambes est atteinte. Lorsque les militaires sont arrivés, ils ont arrêté mon mari, l’emmenant à l’extérieur. Deux d’entre eux sont restés dans la maison et m’ont forcée à entrer dans la chambre. Je portais juste un pagne autour de ma poitrine. Les deux m’ont violée. « Si tu alertes quelqu’un, nous te tuerons », m’ont-ils prévenu. Je leur ai opposé une certaine résistance et dans l’affrontement, ma jambe fragiles a heurté le lit. Elle a enflé et me fait souffrir.

Les soldats qui se sont rendus coupables de viols ont également laissé entendre dans leurs insultes verbales qu’ils les commettaient en partie pour punir leurs victimes de leur affiliation présumée avec des combattants séparatistes armés. « Avant qu’il [le soldat] ne me viole, il a demandé: ‘‘Où sont les Ambas [séparatistes] ?’’ » J’ai répondu que je ne savais pas », a relaté à Human Rights Watch une femme âgée de 45 ans. « Puis il a ajouté : ‘‘Vous êtes la femme de l’un de ces Ambas, n’est-ce pas ?’’ J’ai répondu que mon mari n’était pas un combattant. »

Une agricultrice âgée de 30 ans a déclaré que deux soldats étaient entrés par effraction chez elle, à la poursuite de son mari et de séparatistes armés : « Ils m’ont tirée, emmenée dans la chambre. L’un d’eux m’a demandé en français: ‘‘Où est ton mari? Où sont les Ambas?’’ J’ai répondu que mon mari était mort. Alors, l’un d’entre eux m’a poussée et a pointé une arme sur moi. Il m’a acculée dans un coin. Je n’avais aucun moyen de crier ou de bouger. Il a usé de la force contre moi et m’a violée. J’avais peur. J’ai pleuré. »

Au moins trois femmes ont déclaré avoir été violées par plus d’un soldat. L’une d’elles, une enseignante âgée de 35 ans, a déclaré que deux soldats l’avaient agressée sexuellement à son domicile : « Ils portaient tous deux un uniforme de l’armée et des fusils. Ils parlaient français et un anglais rudimentaire. Ils m’ont demandé où était mon mari et j’ai répondu que je ne savais pas. Ils étaient en colère de ne pas le trouver, alors ils se sont vengés sur moi. Ils m’ont déshabillée. Leurs armes me faisaient peur. Tous les deux m’ont violée. Ensuite, ils ont volé mon téléphone. »

Accès différé aux soins médicaux et au soutien psychosocial

La violence sexuelle a bouleversé la vie de toutes les femmes interrogées. Aucun d’entre elles n’a pu avoir accès à des soins médicaux immédiatement après l’attaque en raison d’une série d’obstacles, notamment le fait d’avoir été déplacée, le manque d’infrastructures médicales, le coût pour se rendre dans de tels lieux, le coût des soins médicaux et la crainte de la stigmatisation et du rejet.

Une survivante âgée de 35 ans et mère de huit enfants a déclaré fin août : « Après le viol, j’ai pris quelques affaires et me suis réfugiée dans la brousse voisine, où je suis restée plusieurs semaines. Je n’ai pas demandé d’assistance médicale, car je ne pouvais pas me rendre à l’hôpital dans la brousse. La première fois que j’ai vu un médecin, c’était il y a trois semaines. »

Un agriculteur âgé de 56 ans dont la femme a été violée a déclaré fin août : « Quand ma femme m’a parlé [du viol], elle était traumatisée, mais je n’ai pas pu l’emmener à l’hôpital. Je n’avais pas d’argent. Nous nous sommes enfuis dans la brousse par crainte d’une autre attaque. Ma femme n’a reçu de l’aide que récemment, lorsqu’un médecin est venu la dépister pour le VIH. »

Certaines survivantes de viol n’ont eu accès à des soins médicaux, à un soutien psychologique et à une assistance matérielle qu’entre la fin du mois de juillet et la mi-août, cinq mois après l’attaque, grâce à l’intervention d’une organisation humanitaire internationale qui a appris mi-juillet que des viols à grande échelle avaient été perpétrés. Un médecin ayant dépisté les survivantes et effectué des prélèvements sanguins pour vérifier s’ils souffraient de maladies sexuellement transmissibles, a déclaré :

Quand j’ai été informé de viols à grande échelle, il était déjà trop tard. Néanmoins, je me suis rendu à Ebam mi-août, où j’ai examiné les femmes qui disaient avoir été agressées sexuellement. J’ai effectué des examens médicaux et rassemblé leurs dossiers. Des tests sanguins ont révélé qu’au moins deux d’entre elles avaient la syphilis. Je ne peux pas dire si c’était à cause du viol. Mais ce que je sais avec certitude, c’est que ces survivantes sont toujours traumatisées.

Deux survivantes ont fait état de blessures physiques et de maladies après leur agression. « À la suite du viol, j’ai eu des douleurs physiques. J’avais mal à l’abdomen et à la tête pendant un moment », a souligné une étudiante âgée de 28 ans. Human Rights Watch a également constaté que les viols avaient des conséquences désastreuses sur la santé mentale des victimes. Le médecin qui a examiné les survivantes en août a déclaré qu’elles décrivaient des symptômes concordant avec le stress posttraumatique et la dépression: peur et anxiété, insomnie et incapacité à accomplir des tâches quotidiennes.

« Je ne sais pas vraiment ce que je ressens. Je pense que je me sens vide et triste », a déclaré une survivante âgée de 35 ans. Une agricultrice âgée de 30 ans s’est dite bouleversée et anxieuse : « Mon esprit est perturbé ; j’ai du mal à dormir et à me concentrer. Quand je pense à ce qui s’est passé, je ne me sens pas bien. » Une femme âgée de 27 ans a quant à elle déclaré : « Je me sens mal. Je suis traumatisée. Chaque fois que je vois des militaires, je tremble ; ça me rappelle ce qui s’est passé, ça me rappelle de mauvais souvenirs. »

Incapables de reprendre le travail ou d’autres activités nécessaires à leur subsistance, les survivantes de viol disent lutter pour reconstruire leur vie et subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Âgée de 28 ans et mère de quatre enfants, une survivante a décrit comment l’impact à long terme de la violence sexuelle sur sa santé mentale l’avait empêchée de trouver du travail, même si elle en avait plus que jamais besoin, les soldats lui ayant également pris tout son argent : « Je suis psychologiquement perturbée. Je suis stressée parce que je n’ai pas d’argent. Je ne sais pas ce que je peux offrir à mes enfants. Je ne fais rien pour vivre. Personne ne me soutient en ce moment. »

La stigmatisation associée à l’agression sexuelle suscite chez certaines femmes gêne et honte. La crainte de la stigmatisation a également empêché certaines de divulguer leur viol, y compris à des proches et à des parents, et de demander de l’aide. Ces femmes ont dit que leurs maris ou partenaires les avaient blâmées ou rejetées, et des membres de leur communauté se sont moquées d’elles après le viol.

Une survivante âgée de 34 ans a déclaré avoir été l’objet de moqueries de la part de membres de sa communauté : « Les villageois savent que j’ai été violée et ils se moquent de moi. Parfois, quand je passe, les gens me pointent du doigt. Ils se moquent de moi au lieu de me réconforter. »

Une agricultrice âgée de 30 ans mère de six enfants a raconté à Human Rights Watch la réaction de son mari lorsqu’elle lui a dit qu’elle avait été violée : « Il était bouleversé. Il a dit que j’aurais dû m’échapper. J’ai expliqué que je n’aurais pas pu y arriver ; il n’y avait aucun moyen de résister ou de crier. Il a dit qu’il ne pouvait plus avoir de relation sexuelle avec moi. Dans le village, je suis stigmatisée. Les gens se moquent de moi. Quand je passe, ils me toisent et lancent : ‘‘Regardez, celle qui a été violée !’’ »

Arrestations massives, passages à tabac dans une base militaire et détention au poste de gendarmerie

Des témoins ont déclaré à Human Rights Watch que des soldats sont entrés à Ebam, se sont rendus d’un domicile à l’autre, ont volé de l’argent et des objets de valeur et contraint 36 hommes à sortir de chez eux. Ils ont été emmenés au centre du village, où les soldats les ont menacés.

Un agriculteur âgé de 53 ans, qui faisait partie des personnes arrêtées, a témoigné :

Les soldats n’ont pas tiré ; ils sont entrés tranquillement et nous ont tous pris par surprise. Peu ont réussi à fuir. Tout le village a été pris en otage. Ils ont fait irruption dans toutes les maisons, y compris la mienne. Ils étaient quatre, bien armés. J’étais à la maison avec ma femme. Ils ont pris mon téléphone Android et 150 000 francs CFA [environ 271 dollars US]. Ils m’ont emmené dehors, au milieu du village où d’autres hommes avaient été arrêtés. Nous avons tous été forcés de nous asseoir par terre, attachés les uns aux autres avec une corde en nylon, par groupes de trois à quatre. Ils nous ont menacés : «Aujourd’hui, c’est fini pour vous. Vous ne reviendrez pas dans votre village.» Certains d’entre nous criaient et pleuraient.

Quatre des hommes ont déclaré que, vers 6 heures du matin, des soldats les avaient fait monter à bord avec 32 autres dans des convois militaires pour les conduire dans leur base, située à Besongabang, à environ huit kilomètres d’Ebam. Les quatre hommes ont déclaré que, sur place, les soldats leur avaient infligé des passages à tabac d’une violence équivalant à un acte de torture, ainsi qu’à d’autres, pour les forcer à admettre qu’ils soutenaient des groupes séparatistes armés.

« J’ai été torturé à quatre reprises. Ils m’ont frappé avec la courroie serpentine d’une voiture. Lorsqu’ils me battaient, ils m’ont enjoint de dire la vérité sur les Ambas [séparatistes]. J’ai répondu que je ne savais rien », a déclaré un ancien détenu âgé de 42 ans.

Un homme âgé de 53 ans a témoigné :

Dans le camp militaire, nous avons été réellement torturés. Les militaires nous ont frappé à coups de poings et à l’aide d’objets. J’ai été frappé avec une grosse lanière en caoutchouc au dos, sur les fesses et les jambes. J’ai été frappé à plusieurs reprises. Pendant qu’ils nous rouaient de coups, ils nous accusaient d’avoir hébergé les Ambas [séparatistes]. Comme nous n’avions rien à leur dire au sujet des Ambas, ils nous cognaient toujours plus fort. J’ai eu des ecchymoses au dos et aux fesses pendant plus de deux semaines et j’avais mal.

Le 1er mars, les détenus ont été transférés au poste de gendarmerie de Mamfe, à environ 10 kilomètres de Besongabang, où les gendarmes ont recueilli leurs témoignages. Ils ont tous été remis en liberté entre le 4 et le 6 mars, contre le règlement de sommes comprises entre 25 000 et 35 000 francs CFA (soit entre 45 et 63 dollars US).

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