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Aires protégées en République Démocratique du Congo : un système défaillant

Pays
RD Congo
Sources
Amnesty
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Origine
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Les populations et les écosystèmes de la République Démocratique du Congo sont laissés pour compte par la manière dont la protection de l'environnement est mise en œuvre. Les populations autochtones et les communautés locales sont fréquemment la cible d'intimidations, de torture, de violences physiques et sexuelles et d'homicide aux mains des éco-gardes et des milices. Dans certaines parties de l'est du Congo, les éco-gardes des aires protégées sont confrontés aux mêmes problèmes aux mains des groupes armés. En parallèle, la faune et les habitats ne sont pas protégés, la disparition d'espèces continue à un rythme sans précédent et les communautés qui ont été déplacées lorsque leurs terres ont été déclarées comme aires protégées continuent d'être sans terre et vivent dans une pauvreté abjecte, des décennies plus tard. Il est grand temps d'adopter un nouveau modèle à travers lequel les peuples autochtones et les communautés locales dont les terres traditionnelles abritent l'extraordinaire biodiversité du Congo jouent à nouveau un rôle central dans sa protection.

Ces dernières semaines, plusieurs incidents ont illustré à quel point le système actuel est défectueux :

  • Le 30 novembre 2020, 3 hommes batwas ont été tués et plusieurs autres blessés à l'extérieur du parc national de Kahuzi-Biega (PNKB) lorsqu'une manifestation menée par les Batwas a été violemment réprimée par des membres de l'Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) et les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Un soldat des FARDC a également été tué lors de cette altercation.
  • Le 28 décembre 2020, 5 éco-gardes du parc national de la Salonga ont été reconnus coupables de crimes sérieux contre quatre femmes vivant autour du parc (un de viol et quatre de torture).
  • Le 31 décembre 2020, 5 éco-gardes du PNKB ont été reconnus coupables de meurtre et de coups et blessures contre 2 hommes Batwa.
  • Le 10 janvier 2021, au moins 6 éco-gardes en patrouille dans le parc national des Virunga ont été tués par un groupe armé.1

Ces quatre incidents ne sont que les exemples les plus récents de graves violations des droits humains liées aux aires protégées en RDC, mais beaucoup d'autres ont été documentés.2 Si le modèle coercitif actuel de protection de l'environnement ne change pas radicalement, ces tragédies ne feront qu'accroitre à l'avenir.

L'approche actuelle de protection des écosystèmes et des habitats en RDC est fortement axée sur la création et la surveillance armée d'aires strictement protégées. Les terres désormais désignées comme des aires protégées étaient autrefois occupées, gérées et entretenues de manière durable, principalement par les populations autochtones et d'autres communautés locales. Le modèle de « fortress conservation » repose sur l'idéologie coloniale selon laquelle les humains sont incompatibles avec la nature. Des aires protégées sont établies, en vue de permettre aux chercheurs et aux touristes occidentaux d'accéder à des « paysages vierges ». Dans le même temps, les populations autochtones et les communautés locales sont violemment exclues de ces mêmes terres. Cette approche ignore délibérément le nombre croissant de données scientifique qui démontrent que les terres qui appartiennent, sont gouvernées et gérées par des populations autochtones favorisent davantage la biodiversité, la réduction de la déforestation et la séquestration du dioxyde de carbone que les aires protégées contrôlées par l'État.3

Le système actuel est donc fondé sur l'expropriation, l'appauvrissement et la répression policière. Il est également nécessaire de souligner le fait que les différents « partenaires de la protection de l'environnement », qu'il s'agisse de gouvernements ou d'organisations de protection environnementale, ont renforcé ce modèle dysfonctionnel en le finançant sans conteste et en continuant à soutenir les mêmes activités à travers les années, même lorsqu'ont été portées à leur attention des violations des droits humains et l'insuffisance de ce modèle en matière de protection des écosystèmes.4

Le fait que le personnel employé dans les aires protégées soit mal encadré, formé, aiguillé et rémunéré participe à ce problème.5 Ce personnel reçoit des armes à feu et des ordres dépeignant les peuples autochtones comme une menace.6 La militarisation de la gestion des aires protégées et la pression croissante exercée sur les éco-gardes pour démontrer les progrès dans la lutte contre le braconnage et l'extraction illégale des ressources exposent les éco-gardes et les communautés locales à des risques de violence.7

Dans le même temps, les habitats et la faune dans ces aires protégées continuent d'être menacés, à la fois par des activités dans les parcs telles que l'exploitation minière, l'élevage de bétail et la production de charbon de bois, généralement financées par des individus influents et puissants, et par la diminution de la superficie des terres à l'extérieur du parc en raison du manque de reconnaissance des droits fonciers et de l'attribution de terres coutumières à des entreprises et particuliers pour l'exploitation du bois, l'exploitation minière ou l'agriculture.

Alors que les répercussions de ce modèle de protection environnementale sur les droits humains sont déplorables dans de nombreuses régions du monde, la situation en RDC est particulièrement désastreuse. Cependant, les récentes condamnations d'éco-gardes et les sanctions sans précédent accordées aux victimes suggèrent qu'un véritable changement est en cours. Les acteurs de la protection environnementale (autorités nationales de conservation, bailleurs et ONG) devraient saisir d'urgence cette dynamique pour mettre en œuvre des réformes profondes et significatives. Les étapes constructives qui conduiraient à une meilleure protection des écosystèmes et des populations de la RDC comprennent :

  • Le lancement d'un processus pour transformer radicalement ce modèle coercitif de protection de l'environnement en RDC en un modèle juste et équitable, en commençant par la mise en place d'un dialogue ciblé entre les populations autochtones, les communautés locales, les organisations de la société civile, le gouvernement, les autorités en charge de la protection environnementale, les bailleurs et les ONG environnementale, avec un engagement à mettre en œuvre les accords conclus par ces différentes parties intéressées. Cela comprendrait la reconnaissance des droits des populations autochtones à leurs terres ancestrales et aux ressources naturelles actuellement désignées comme des aires protégées gérées par l'État, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains, en utilisant des méthodes telles que la cartographie participative.
  • L'assurance de la part des bailleurs et organisations de protection de l'environnement que leur financement ne contribue pas aux violations des droits humains, en mettant en œuvre ce qui suit:
  1. L'opérationnalisation de garanties exécutoires, égalant ou surpassant les protections fournies par les standards internationaux en matière de droits humains, supervisées par un organisme indépendant ; 2. Un financement adéquat alloué à des enquêtes de terrain sur les allégations de violations des droits humains, menées tant par les populations autochtones que par les communautés locales et par des enquêteurs indépendants, et en veillant à ce que des fonds soient disponibles pour que les membres des communautés affectées puissent demander réparation en cas de violation de leurs droits ;8 3. Un engagement à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les partenaires de la RDC se conforment aux normes en matière de droits humains et mettent en place des mécanismes de recours et de réparation aux victimes de violations des droits humains, y compris les sanctions civiles imposées à l'ICCN dans les cas susmentionnés ; et 4. Un examen complet sur la manière dont le personnel en charge de la protection environnementale en RDC est recruté, formé, suivi et soutenu.

Ces recommandations ne sont pas nouvelles : elles ont été suggérées maintes et maintes fois aux bailleurs, aux organisations de protection de l'environnement et au gouvernement congolais et à ses institutions de protection de l'environnement et n'ont pas été mises en œuvre. Les événements récents mis en avant dans cette déclaration démontrent une montée de la violence et des violations des droits humains dans les aires protégées de la RDC qui est inacceptable et ne fera qu'empirer si des changements ne sont pas adoptés. Il incombe désormais à tous les acteurs de la protection environnementale d'indiquer clairement comment et quand ils prendront la crise de ce modèle de protection au sérieux et prendront les mesures appropriées pour remédier à cette situation alarmante.

Signataires

  • Amnesty International
  • Forest Peoples Programme
  • Initiative for Equality
  • Minority Rights Group
  • Rainforest Foundation UK

Notes

[1] Bien que les motifs de cette attaque violente et des nombreuses autres menées contre les gardes du parc des Virunga sont multiples et liées à des dynamiques de conflit complexes, la société civile congolaise et des experts indépendants s'accordent de plus en plus à penser qu'elles sont aggravées par l'accent mis actuellement sur la protection environnementale de style militaire, qui alimente un cycle de violence. Pour plus d'informations, voir cette page.

[2] Voir ici, ici et ici.

[3] Voir ici.

[4] Voir ici.

[5] En décembre 2020, par exemple, des éco-gardes du PNKB ont manifesté contre leurs responsables afin de dénoncer le fait qu'ils n'aient pas été rémunérés depuis 9 mois.

[6] Voir ici et ici.

[7] Voir ici.

[8] Le manque actuel de soutien aux victimes de violations des droits humains dans la recherche de réparations devant les tribunaux locaux contraste fortement avec le montant des fonds alloués à la lutte armée contre le braconnage et au soutien à la poursuite des crimes contre les espèces sauvages.