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Bureau intégré des Nations unies en Haïti - Rapport du Secrétaire général (S/2020/123)

Pays
Haïti
Sources
UN SC
Date de publication
Origine
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I. Introduction

1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2476 (2019), par laquelle le Conseil de sécurité a créé le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) à compter du 16 octobre 2019 pour une période initiale de 12 mois, et m’a prié de lui rendre compte, dans les rapports que je lui présenterais tous les 120 jours, à compter du 16 octobre, de l’application de la résolution, y compris des éventuels cas de non-exécution du mandat et des mesures prises pour y remédier. Ce rapport fait état des principaux faits nouveaux survenus depuis la publication de mon précédent rapport sur Haïti (S/2019/805), fait le point sur la mise en place du BINUH et décrit les progrès accomplis dans l’intégration des activités du BINUH et de l’équipe de pays des Nations Unies.

2. La création du BINUH a marqué la fin d’une présence de maintien de la paix de 15 années consécutives en Haïti et ouvert un nouveau chapitre dans la collaboration entre l’Organisation des Nations Unies et Haïti, fondée sur une intégration complète des activités du BINUH et des organismes, fonds et programmes des Nations Unies. Cette nouvelle configuration tire parti des avantages comparatifs que présentent le BINUH, qui mène des activités de conseil stratégique, de sensibilisation et de bons offices à l’appui d’une gouvernance et de mécanismes politiques inclusifs, et l’équipe de pays des Nations unies, qui fournit un appui aux programmes et une assistance technique.

II. Politique et bonne gouvernance (objectif 1)

3. La crise politique en Haïti s’est poursuivie sans répit pendant la période considérée, malgré les efforts consentis pour sortir de l’impasse. Elle était à son comble lors des troubles civils auxquels le pays était en proie entre septembre et novembre 2019, soit la plus longue période de protestations ininterrompues depuis que le Président Jovenel Moïse a pris ses fonctions. Les pouvoirs exécutif et législatif ne parvenant pas à trouver un accord, le Gouvernement n’a pas été confirmé par le parlement. La crise constitutionnelle survenue le 13 janvier 202 avec l’expiration des mandats de tous les membres de la Chambre basse du Parlement, d’au moins un tiers des membres du Sénat et de tous les élus municipaux a aggravé la situation. Depuis lors, le Président s’appuie sur l’autorité que lui confère la Constitution pour assurer le bon fonctionnement des institutions et la continuité de l’État.

4. Au cours du dernier trimestre de 2019, les différentes forces de l’échiquier politique ont cherché à renforcer le consensus interne sur leurs propositions respectives afin de surmonter la crise. Il en est résulté une convergence de vues sur la formation d’un gouvernement de consensus, sur la nécessité de procéder à un contrôle de constitutionalité et sur le lancement d’un dialogue national sur les réformes structurelles, mais aussi des divergences importantes concernant le rôle joué par le Président Moïse pendant une éventuelle période de transition. L’« Entente politique de transition » (« Accord de Marriott »), signée par les principaux groupes d’opposition le 10 novembre, comportait notamment la proposition de nommer un juge de la Cour de cassation comme Président à titre provisoire pour faciliter la tenue d’une conférence nationale sur les réformes structurelles et l’organisation d’élections. La coalition au pouvoir, dirigée par le Parti haïtien Tèt Kale, a annoncé le 5 décembre sa propre proposition, le « Consensus pour une transformation pacifique de la nation haïtienne » (« Accord Kinam »), qui prévoyait une transition dirigée par un Premier Ministre choisi par consensus et nommé par décret présidentiel après consultation des acteurs politiques et de la société civile. Elle prévoyait également la tenue d’élections parlementaires avant la fin de 2020, et d’élections présidentielles en 2021.

5. Parallèlement à ces consultations internes, les efforts se sont intensifiés au niveau régional et international pour encourager les parties à engager des pourparlers directs en vue de trouver une solution à la crise. Dans un communiqué de presse du 14 octobre, la Communauté des Caraïbes a proposé ses bons offices. Dans une déclaration du 8 novembre, l’Union européenne a appelé à une concertation politique ouverte et inclusive. En outre, plusieurs diplomates des États-Unis d’Amérique de haut rang se sont rendus à Port-au-Prince, notamment la Représentante permanente des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations unies, Kelly Craft, le 20 novembre, le Sous-Secrétaire d’État aux affaires politiques, David Hale, le 6 décembre, et l’administrateur de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), Mark Green, du 12 au 14 décembre. Chacun des diplomates de haut rang a rencontré le Président Moïse et les principaux responsables politiques haïtiens et les a exhortés à entamer un dialogue associant toutes les parties. À l’occasion de sa visite, le 7 janvier 2020, le Secrétaire général de l’Organisation des États américains, Luis Almagro, a dit lui aussi que son organisation était ouverte au dialogue. Au niveau national, dans un message de Noël publié le 30 novembre, la Conférence épiscopale d’Haïti a exhorté le Président et les représentants de l’opposition à faire de « coûteuses concessions » pour le bien commun de la nation.

6. Depuis la création du BINUH le 16 octobre, ma Représentante spéciale pour Haïti et Chef du BINUH et son équipe ont fait usage de leurs bons offices et du pouvoir fédérateur du système des Nations Unies pour encourager un dialogue véritable et inclusif et coordonner un engagement cohérent des acteurs internationaux, notamment du Groupe restreint concernant Haïti, l’objectif étant d’aider à régler la crise. Alors que la polarisation politiques s’aggrave, elle a, avec son équipe, dialogué avec les acteurs clés de la société haïtienne, notamment les forces politiques, la société civile, les acteurs économiques et les organisations d’inspiration religieuse, à désamorcer les tensions et à créer un environnement propice à l’établissement d’un consensus sur la nécessité de parvenir à un accord politique pour surmonter la paralysie actuelle. Par ailleurs, le Bureau a organisé deux réunions préliminaires avec des représentants de la présidence, de la coalition au pouvoir, des acteurs non alignés et de l’opposition afin de s’accorder sur les objectifs et les paramètres d’un dialogue politique. Ces initiatives ont été suivies de discussions informelles entre les représentants du Président et des principaux groupes politiques et sociaux, les 17 et 18 décembre, à la Représentation du Saint-Siège en Haïti, qui ont été facilitées par l’ONU en collaboration avec le nonce apostolique et le Représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation des États américains. Bien que ces pourparlers aient marqué une étape préliminaire importante et qu’ils aient permis de créer un espace politique et une dynamique propice à la poursuite du dialogue, certains représentants de l’opposition, dont la plupart étaient représentés aux réunions précédentes, n’y ont pas assisté, et d’autres n’ont participé qu’au premier jour des débats.

7. Le président Moïse a également intensifié les activités de proximité pour obtenir un soutien en faveur de pourparlers directs, le but étant de parvenir à un accord politique et de remédier au vide institutionnel après le 13 janvier. Après la diffusion des propositions de l’opposition et de la coalition au pouvoir visant à mettre fin à la crise, le Président Moïse a tenu deux réunions distinctes le 16 décembre 2019, une avec la personne chargée de la coordination du « Comité de suivi de l’Accord de Marriott », l’autre avec le président du « Comité de suivi de l’Accord du Kinam », afin de débattre d’une « solution pacifique et responsable » permettant de sortir de l’impasse politique. Le 26 décembre, il a rencontré plusieurs personnalités de l’opposition non alignées qui avaient participé aux pourparlers des 17 et 18 décembre, et une délégation du « Comité de suivi de l’Accord du Kinam ». Les débats auraient porté sur les priorités en matière de réforme et non sur les dispositions transitoires en matière de gouvernance. Cependant, les signataires de l’« Accord de Marriott » ont refusé obstinément de collaborer avec le Président. Ils ont rejeté deux invitations à des réunions prévues les 20 et 27 décembre, ainsi qu’à plusieurs autres consultations informelles prévues tout au long du mois de janvier, disant qu’ils ne participeraient au dialogue que si le Président démissionnait.

8. Néanmoins, après trois semaines d’intenses travaux de préparation facilités par l’ONU, l’Organisation des États américains et le nonce apostolique, une « Conférence politique pour une sortie de crise » a été convoquée à la Représentation du Saint-Siège en Haïti du 29 au 31 janvier. Des représentants de la présidence, des signataires des accords « Marriot » et « Kinam », des membres de partis politiques non alignés, ainsi que des personnalités de la société civile et du secteur privé ont participé à des négociations constructives articulées autour des quatre éléments centraux d’un accord éventuel : la définition des critères de formation d’un nouveau gouvernement ; l’élaboration d’une feuille de route pour la réforme ; la conception d’un processus de révision de la Constitution ; la détermination d’un calendrier électoral. Si les points de vue des représentants présents à la conférence ont convergé sur l’articulation d’une feuille de route pour la réforme et d’un processus de révision de la Constitution, d’autres discussions seront nécessaires pour les critères de formation d’un gouvernement et le calendrier électoral. Le Président, ainsi que la plupart des participants, ont manifesté leur intérêt pour la reprise des négociations afin de finaliser un accord.

9. Ces faits nouveaux ont considérablement accru l’incertitude entourant les opérations électorales. Les élections parlementaires et municipales initialement prévues le 27 octobre 2019 ont été reportées sine die. Le projet de loi électorale présenté au Parlement le 14 novembre 2018 n’a toujours pas été adopté, et les membres du Conseil électoral provisoire nommés le 29 mars 2016 restent en fonction en attendant qu’un consensus soit trouvé sur la nomination des membres du Conseil électoral permanent. Les progrès réalisés en ce qui concerne l’établissement d’une nouvelle liste électorale sont également source de préoccupations car les inscriptions pour les nouvelles cartes d’identité biométriques, qui serviront à l’établissement de la liste électorale en vue des futures élections, ont avancé lentement, en partie à cause de la situation politique. Au 16 décembre, seulement 1 million des 7 millions de personnes habilitées à voter s’étaient inscrites auprès de l’Office national d’identification et 500 000 cartes d’électeur avaient été distribuées. Le Conseil électoral provisoire s’est donc concentré sur le renforcement des capacités institutionnelles et des effectifs. Avec l’aide du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de l’International Foundation for Electoral Systems (Fondation internationale pour les systèmes électoraux), il met actuellement en place une formation en huit modules, à savoir une initiative BRIDGE de renforcement des capacités en matière de démocratie, de gouvernance et d’élections. Depuis septembre, 69 agents électoraux ont été formés à la planification stratégique et financière, au financement politique, ainsi qu’à l’égalité des genres et à l’accessibilité dans les procédures électorales. L’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes) et le PNUD ont également continué de soutenir la Fédération nationale des femmes maires et élues locales afin d’accroître la participation politique des femmes. Alors que la Constitution haïtienne exige un quota minimum de 30 % de femmes au Gouvernement, le ratio de femmes dans l’ancien Parlement (1 sénatrice et 3 députées sur les 149 représentants) était l’un des plus bas du monde.

10. Par ailleurs, la polarisation politique a continué d’avoir des répercussions sur la gouvernance. Le 18 octobre, le Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement a ordonné à la compagnie d’électricité privée Sogener de rembourser la somme de 223 millions de dollars à l’État haïtien, dont un montant de 194 millions de dollars qui aurait été détourné du programme de financement de PetroCaribe entre juin 2012 et mars 2019. Le 23 octobre, le Conseil des ministres a pris deux résolutions par lesquelles il a suspendu les paiements de toutes valeurs en rapport avec les contrats passés entre l’État et trois fournisseurs d’électricité privés, à savoir Sogener, E-Power et Haytrack, et mis fin à toutes les franchises douanières. Le Gouvernement a ensuite porté plainte contre la Sogener pour actes criminels favorisant l’enrichissement privé aux dépens de l’État, corruption et fraude. Il a également saisi la centrale électrique de la société à Cité-Soleil (département de Ouest) et gelé les comptes bancaires de plusieurs de ses dirigeants. Cela a suscité de nombreuses critiques de la part de certains segments de l’opposition ainsi que de l’Association des industries d’Haïti, de la Chambre de commerce et de l’industrie et de la Chambre franco-haïtienne de commerce et d’industrie, qui ont dénoncé « l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ».