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Emploi d’armes explosives dans des villes : il faut mettre un terme aux souffrances civiles

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ICRC
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Appel lancé conjointement par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, António Guterres, et par le président du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer DÉCLARATION 18 SEPTEMBRE 2019 SYRIE YÉMEN AFGHANISTAN IRAK UKRAINE LIBYE Idlib et Tripoli sont actuellement la cible de bombardements incessants, comme l'ont été d'innombrables villes avant elles : Mossoul, Alep, Raqqa, Taïz, Donetsk, Fallouja ou encore Sanaa, pour ne citer que les exemples les plus récents.

Bien qu'elles causent des destructions et des souffrances atroces, les guerres en milieu urbain font rarement la une des journaux. Elles mériteraient pourtant davantage d'attention sachant qu'elles touchent aujourd'hui pas moins de 50 millions de personnes.

Préoccupés par les conséquences dévastatrices des guerres urbaines sur le plan humanitaire, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et l'Organisation des Nations Unies (ONU) appellent conjointement les États et toutes les parties aux conflits armés à éviter d'employer des armes explosives à large rayon d'impact dans des zones habitées.

À mesure que notre monde s'urbanise, il en va de même des conflits armés. Mais quand des villes entières sont bombardées – qu'il s'agisse de frappes aériennes, de tirs de roquettes ou d'artillerie ou d'engins explosifs improvisés –, ce sont les civils qui paient le prix fort. De fait, l'immense majorité des victimes (plus de 90 %, selon une estimation) sont des civils. Les images choquantes d'agglomérations en ruines qui nous parviennent entre autres d'Afghanistan, d'Irak, de Syrie et d'Ukraine mettent en évidence des dommages civils systématiques et étendus qu'il est impossible d'ignorer, mais qui sont pourtant souvent oubliés.

Les parties aux conflits doivent admettre qu'elles ne peuvent pas combattre de la même façon dans des zones habitées et sur des champs de bataille ouverts. Elles doivent reconnaître que l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact dans des villes, des villages et des camps de réfugiés expose les civils à un risque élevé de dommages indiscriminés.

Les conflits armés dans les villes font d'innombrables morts et blessés graves parmi les civils, dont beaucoup conservent des handicaps ou des séquelles psychologiques pour le restant de leurs jours. Les infrastructures nécessaires au fonctionnement des services essentiels – eau, électricité, assainissement, soins de santé – sont endommagées ou détruites, ce qui entraîne des réactions en chaîne et ne fait qu'aggraver les souffrances. Pour ne donner qu'un exemple, le mois dernier à Aden (Yémen), au moins 200 000 personnes ont été privées d'eau potable après des combats intenses.

Et quand l'approvisionnement en eau ou en électricité est interrompu parce que les conduites ou les lignes ont été détruites, il devient extrêmement difficile, voire impossible, d'assurer les soins médicaux. En effet, les bombardements dans les villes frappent aussi de plein fouet les soins de santé : les membres du personnel médical sont tués ou blessés, les ambulances ne parviennent plus jusqu'aux blessés et les hôpitaux subissent des dommages irréversibles.

Les conditions de vie deviennent intenables pour ceux qui survivent, et beaucoup sont forcés de fuir. L'été passé, en deux mois seulement, environ 100 000 personnes ont été déplacées à cause de bombardements massifs sur la ville de Tripoli. Or les personnes déplacées, en particulier les femmes et les enfants, sont particulièrement exposées à divers risques qui menacent leur vie et leur santé. L'Irak compte 1,5 million de déplacés internes qui ne peuvent pas rentrer chez eux. Et ceux qui s'y risquent malgré tout font face à d'immenses difficultés pour reconstruire leur vie : leurs maisons sont détruites, les réseaux de services essentiels se sont effondrés et la menace des restes explosifs de guerre est omniprésente.

Les destructions massives causées par les conflits armés en milieu urbain peuvent entraîner un recul des indices de développement de plusieurs années, voire de plusieurs décennies en arrière. Prenons l'exemple du Yémen : au terme des quatre premières années du conflit armé, les indicateurs de développement humain avaient chuté, régressant à leur niveau d'il y a vingt ans. Cela porte un terrible coup d'arrêt à la réalisation de plusieurs des objectifs de développement durable. Lorsque des centres urbains autrefois animés et prospères sont transformés en villes fantômes, ce sont plusieurs décennies de progrès qui se trouvent réduites à néant.

Cette année, nous célébrons le 70e anniversaire des Conventions de Genève de 1949. Universellement ratifiées, celles-ci confèrent au droit international humanitaire (DIH) un pouvoir de protection pour autant que ses règles soient pleinement respectées. Ainsi, le DIH interdit expressément les attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil, les attaques indiscriminées ou disproportionnées, l'emploi d'armes frappant sans discrimination et l'utilisation de civils comme boucliers humains. Il fait obligation aux parties aux conflits de prendre des mesures pour réduire au minimum les dommages qu'elles pourraient causer incidemment à la population et aux biens civils. Impératif dans toutes les situations de conflit armé, le respect de ces règles l'est plus encore lorsque les combats se déroulent dans des zones habitées – où cibles militaires et structures civiles sont voisines les unes des autres, et où les civils risquent donc davantage d'être blessés ou tués.

Compte tenu de la vulnérabilité intrinsèque des civils, les États doivent impérativement, d'une part, réexaminer et repenser leurs choix en matière d'armes et de tactiques de guerre de manière à épargner la population et les biens civils, et, d'autre part, préparer, former et équiper leurs forces armées en conséquence. Ils doivent en outre user de leur pouvoir d'influence pour convaincre leurs partenaires et les autres parties aux conflits qu'ils soutiennent d'en faire de même. Enfin, ils doivent impérativement inscrire la protection des civils au rang des priorités stratégiques de la planification et de la conduite des opérations militaires. Des efforts ont été entrepris à cet égard, mais il reste encore beaucoup à faire, et le temps presse.

Plusieurs initiatives visant à renforcer la protection des civils et des biens de caractère civil dans les conflits armés en milieu urbain sont déjà en cours, ce qui est encourageant. En premier lieu, nous soutenons les efforts déployés par les États pour élaborer une déclaration politique et définir les restrictions, normes communes et procédures opérationnelles qui doivent encadrer, conformément au DIH, l'emploi d'armes explosives dans des zones habitées.

Nous demandons en outre aux États et aux autres parties prenantes de collecter davantage de données sur les victimes civiles, de mettre en place des mécanismes d'atténuation des risques et d'enquête sur les cas de dommages civils, de rendre compte de leurs opérations et d'en tirer les enseignements pour l'avenir. Nous encourageons également les États à recenser et mettre en commun les bonnes pratiques qui permettent de réduire les risques auxquels sont exposés la population et les biens civils dans les conflits armés en milieu urbain, notamment les restrictions à l'emploi d'armes explosives lourdes dans des zones habitées, et nous nous engageons à soutenir les efforts déployés dans ce sens.

Nous appelons par ailleurs toutes les parties aux conflits armés à recourir à des stratégies et tactiques militaires qui maintiennent les combats à l'écart des zones peuplées afin que les centres urbains ne soient plus le théâtre d'affrontements, et nous leur demandons instamment de laisser partir les civils retenus dans des zones assiégées.

Enfin, nous appelons les États à adopter des politiques et des pratiques qui concourent à mieux protéger les civils dans les conflits armés en zone habitée, en préconisant notamment d'éviter l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact compte tenu des dommages indiscriminés qu'elles sont fortement susceptibles de causer. Tous ces efforts combinés contribueront de manière significative à réduire les effets des conflits en milieu urbain et à prévenir les souffrances parmi la population civile.

Informations complémentaires :

Anita Michele Dullard, porte-parole du CICR, Genève, +41227303028, adullard@icrc.org