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Rapport du Secrétaire général sur la situation au Burundi (S/2018/89)

Countries
Burundi
Sources
UN SC
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I. Introduction

  1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2303 (2016) dans laquelle le Conseil de sécurité m’a demandé de lui faire rapport sur la situation au Burundi tous les trois mois, y compris sur tout fait public d’incitation à la haine et à la violence. Nommé le 5 mai 2017, mon Envoyé spécial s’est rendu à plusieurs reprises au Burundi et dans les pays de la région et a tenu des séances d’information avec le Conseil les 26 juillet et 20 novembre 2017 afin de le tenir informé du diagnostic qu’il portait sur la situation dans le pays et des résultats des réunions qu’il avait tenues avec des représentants du Gouvernement, des dirigeants des p artis politiques et des représentants de la société civile ainsi qu’avec le Président de l’Ouganda, Yoweri Museveni, et l’ancien Président de la République-Unie de Tanzanie, Benjamin Mkapa, en leur qualité de médiateur pour le premier et de facilitateur pour le second du dialogue mené sous les auspices de la Communauté d’Afrique de l’Est.

  2. Le présent rapport porte sur la période qui s’est écoulée depuis l’exposé que mon Envoyé spécial a présenté au Conseil le 20 novembre 2017 et fait le point de l’évolution politique au Burundi, des efforts faits au niveau régional pour engager un dialogue ouvert à tous et des activités de mon Envoyé spécial et des entités des Nations Unies dans le pays.

II. Principaux faits nouveaux

A. Évolution de la situation politique

  1. Plus de deux ans et demi après le déclenchement de la dernière crise au Burundi, la situation politique demeure tendue. Le Gouvernement continue d’essayer d’obtenir une révision de la Constitution, ce qui exacerbe les tensions avec l’opposition. Entravés par la méfiance qui règne entre le Gouvernement et l’opposition, les efforts faits au niveau régional pour réunir les parties au conflit n’ont rien donné pour le moment. Au lieu de chercher un terrain d’entente, les parties continuent de se quereller au sujet du processus de dialogue.

Situation dans le pays

  1. Le Gouvernement burundais continue de s’employer à obtenir une révision de la Constitution. Le 24 novembre 2017, il a adopté les recommandations de la Commission nationale de dialogue interburundais. Les révisions qui sont proposées devraient être soumises à référendum en mai 2018 et prévoient ce qui suit : a) le mandat du Président serait porté à sept ans ; b) un examen des quotas ethniques – 60 % de Hutus et 40 % de Tutsis – appliqués dans les instances du pouvoir exécutif, au Parlement et dans l’appareil judiciaire pourrait avoir lieu au bout de cinq ans ;

c) un poste de Premier-Ministre serait créé et le poste de deuxième Vice-Président serait supprimé ; d) l’adoption des lois ordinaires se ferait à la majorité simple et non plus à la majorité des deux tiers. De nombreuses parties prenantes et de nombreux partenaires du Burundi se sont dits préoccupés par le fait que les révisions qui étaient proposées pourraient anéantir certains des progrès qui avaient été rendus possibles par l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha pour le Burundi. En particulier, il est préoccupant que l’on donne la possibilité de supprimer les quotas ethniques consacrés dans l’Accord.

  1. Le 12 décembre, à Bugendana (province de Gitega), le Président du Burundi, Pierre Nkurunziza, a lancé une campagne en faveur de la révision de la Constitution. En présence de représentants du Gouvernement, de dirigeants des partis politiques enregistrés proches du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), de représentants des milieux diplomatiques et de milliers de personnes, le Président a appuyé vigoureusement les amendements qui étaient proposés, y voyant un moyen de doter le Burundi d’une Constitution moderne, et a déclaré que ceux qui s’opposeraient en parole ou en action aux changements auraient franchi une ligne rouge. En réponse, l’un des responsables de l’opposition, Agathon Rwasa de la coalition Amizero y’Abarundi, qui est également le Premier Vice-Président de l’Assemblée nationale, a boycotté la cérémonie qu’il a qualifiée de violation de la loi. Léonce Ngendakuman, Vice-Président du Sahwanya-Front pour la démocratie du Burundi (SahwanyaFRODEBU), parti de l’opposition, a estimé que la campagne risquait d’envenimer le climat sociopolitique du Burundi.

  2. Le 5 novembre, le Président Nkurunziza a prorogé de six mois le mandat de la Commission électorale nationale indépendante, décision que l’opposition a contestée. Le 15 décembre, le Président de la Commission a rencontré des dirigeants des partis politiques, des représentants des organisations de la société civile et des représentants religieux pour leur demander de participer aux commissions électorales provinciales et aux commissions électorales communales.

  3. Le 11 décembre, le Ministre de l’intérieur et le Ministre des finances ont signé une ordonnance conjointe portant modalités de collecte de la contribution volontaire de la population à un fonds administré par l’État destiné à financer les élections de 2020. Le fonds a été établi en juin 2017 par le Président Nkurunziza, qui y a versé une cotisation de 5 millions de francs burundais (2 850 dollars) et demandé à la population de faire son devoir civique. Le Président a estimé que le fonds était un symbole de l’autonomie financière du Burundi vis-à-vis des pays donateurs et un moyen de recouvrer l’indépendance politique nationale dans l’unité. Plusieurs ministres, des cadres de l’État et des organisations de la société civile ont publiquement cotisé au fonds. Depuis janvier 2018, les salariés, les étudiants et les chômeurs sont tenus de verser un certain montant, compris entre l’équivalent de 50 centimes et un mois de salaire par an. La cotisation des fonctionnaires est prélevée à la source. Ceux qui ne peuvent pas cotiser sont tenus de présenter une justification écrite.

  4. Les présidents de l’organisation de la société civile Parole et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités, Faustin Ndikumana et Gabriel Rufyiri, et l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques ont condamné la campagne, la considérant comme illicite. M. Rufyiri est allé jusqu’à qualifier le système de vol organisé pour spolier le peuple le plus pauvre de la Terre. Le Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et la restauration de l’état de droit (CNARED), plateforme d’opposition, et le Sahwanya-FRODEBU ont également condamné la campagne.

Dialogue interburundais mené sous les auspices de la Communauté d’Afrique de l’Est

  1. Le dialogue interburundais mené sous les auspices de la Communauté d’Afrique de l’Est n’a pas progressé de façon notable. À la quatrième session tenue à Arusha (République-Unie de Tanzanie) du 27 novembre au 8 décembre, le facilitateur n’a pas réussi à amener les parties à engager un dialogue véritable et direct qui leur aurait permis de parvenir à un accord ou de publier une déclaration. Il a établi à la place une synthèse des points de convergence et de divergence à l’intention du médiateur.

  2. Le 7 novembre, avant la session du dialogue interburundais, le Représentant permanent de l’Ouganda auprès de l’Organisation des Nations Unies a rendu visite au Président Nkurunziza, au nom du Président Museveni, pour discuter des mesures à prendre pour que le processus politique puisse progresser. Le 20 octobre, le facilitateur a également rencontré le Secrétaire général du CNDD-FDD dans le cadre des consultations menées en prélude à la session. Le 21 novembre, le Ministre de l’intérieur et de l’éducation civique a organisé une réunion du Forum des partis politiques (qui regroupe des dirigeants et des représentants des partis politiques enregistrés), également en prélude à la session. Lors de cette réunion, le Secrétaire général du CNDD-FDD a demandé aux participants de faire pression auprès du facilitateur afin qu’il interdise aux représentants de la société civile de prendre part à la réunion, arguant que les débats devaient se tenir entre responsables politiques.

  3. Néanmoins, 32 partis politiques enregistrés, des organisations de la société civile, des médias, des groupes de femmes et de jeunes et des groupes religieux, à l’exception de l’église catholique, ont participé à la session. Le Gouvernement était représenté par l’assistant du Ministre de l’intérieur, tandis que le CNDD-FDD l’était par de hauts responsables. L’Ombudsman et deux anciens Présidents, Domitien Ndayizeye and Sylvestre Ntibatunganya, étaient également présents. Des dirigeants des partis d’opposition basés au Burundi, parmi lesquels Agathon Rwasa et Evariste Ngayimpenda de la coalition Amizero y’Abarundi et Léonce Ngendakumana du parti Sahwanya-FRODEBU, ont également assisté à la session. Le CNARED n’était pas invité en tant que tel et ses membres ont refusé de participer à la session à titre individuel. Par ailleurs, 34 personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt lancé par les autorités burundaises n’ont pas non plus été invitées. Le 18 novembre, dans une déclaration et une lettre adressées au médiateur, le CNARED a estimé que la session était une façon d’aider le Président Nkurunziza à enterrer l’Accord d’Arusha et la Constitution. Les dirigeants de la campagne « Halte au troisième mandat » ont également refusé de participer à la session, car le processus n’était pas inclusif et la sécurité des représentants de la société civile n’était pas garantie. Ils ont également reproché aux dirigeants de la Communauté d’Afrique de l’Est de ne pas mettre leur discours en adéquation avec leurs valeurs et déclaré qu’une partie au conflit avait réussi à détourner l’objectif du processus à son avantage et vidé le dialogue de sa substance.

  4. La session s’est terminée le 8 décembre et a donné lieu à un récapitulatif portant sur 19 points de convergence, dont : a) la souveraineté du Burundi et les droits politiques et sociaux de tous les Burundais ; b) l’attachement à l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha pour le Burundi et à la Constitution comme fondement d’une paix durable, de la sécurité et de la stabilité ; c) le caractère politique de la crise et la nécessité de trouver une solution politique ; d) la nécessité d’instaurer des conditions de sécurité qui permettent le retour et la réintégration des réfugiés et des acteurs politiques en exil et la réinstallation des personnes déplacées, avec l’aide des différentes parties prenantes et de la communauté internationale.

  5. Le facilitateur a également résumé 11 points sur lesquels les participants n’ont pas pu se mettre d’accord : a) la dépolitisation des organes de sécurité ; b) les libertés fondamentales des personnes et des groupes légalement organisés, telles que la liberté d’association, la liberté de réunion, la liberté de parole et la liberté de circulation ; c) la libération des prisonniers politiques ; d) les amendements à la Constitution ; e) le passage de la majorité des deux tiers à la majorité simple au Parlement ; f) le désarmement des civils et des groupes ; g) la sécurité des acteurs politiques en exil qui rentrent au Burundi et la protection des biens leur appartenant ; h) la réforme du secteur de la sécurité ; i) la collaboration avec les groupes armés disposés à renoncer à la violence et à parvenir à un règlement pacifique ; j) l’ouverture de l’espace politique ; k) la levée des mandats d’arrêt et l’amnistie des détenus politiques.

  6. Le facilitateur s’est engagé à rencontrer le médiateur pour l’informer de l’issue de la session et pour lui demander ses vues sur la voie à suivre, de façon à organiser une nouvelle session dans les mois à venir. Le Gouvernement a continué d’insister pour que le processus se déroule au Burundi et affirmé qu’il n’y avait pas de crise dans le pays. Le 11 décembre, le Porte-parole du Gouvernement a publié une déclaration dans laquelle il a affirmé que la réunion était la dernière à se tenir en dehors du pays. Il y demandait également que les réfugiés et les exilés burundais qui ne faisaient pas l’objet de poursuites rentrent au Burundi et contribuent à l’organisation des élections de 2020. Le Gouvernement a continué de demander aux personnes qui faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt de rentrer afin de comparaître devant la justice.

  7. De leur côté, les dirigeants de l’opposition politique ont affirmé que les conditions de sécurité au Burundi étaient mauvaises, que les atteintes aux droits de l’homme se poursuivaient et qu’un dialogue véritable et ouvert à tous s’imposait si l’on voulait trouver une solution durable à la crise et ont souligné que la situation socioéconomique et humanitaire du pays était catastrophique. Le 8 décembre, le CNARED a publié un communiqué dans lequel il exhortait les dirigeants régionaux, nommément le Président Museveni et le Président de la République-Unie de Tanzanie, John Magufuli, à exercer une pression politique, diplomatique et économique, pouvant aller jusqu’à un embargo, afin de contraindre le Président Nkurunziza à participer au dialogue. Il demandait à l’Union africaine, à la Communauté d’Afrique de l’Est et à l’Organisation des Nations Unies d’admettre que le Président Nkurunziza ne voulait pas négocier et priait l’ONU de s’attacher plus activement à trouver une issue à la crise. Il a également mis en garde contre le risque de guerre civile que faisait planer la quête par le Président Nkurunziza d’une présidence à vie.