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Le jour où nous ne sommes pas allés à Bossangoa

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Alors que les violences et les déplacements de populations se poursuivent à Bangui, notre collègue, Donaig Le Du, partage avec nous ses impressions du terrain. Elle nous donne un aperçu de sa vie et de son travail en Centrafrique (RCA) alors que le pays traverse une période de crise. Voici le deuxième épisode de ses lettres de RCA.

Tout est prêt. Les dernières vérifications de sécurité. Les tests radios. Le chargement de la voiture : les bagages, de l’eau, du carburant et des colis pour les bureaux du PAM dans les villes traversées.

C’est le début du mois de juillet, et le voyage promet d’être passionnant. Une grande tournée des installations et des programmes du PAM à Bossangoa, Paoua et Bouar, dans l’ouest de la RCA. Cinq jours de route, et pour moi la première occasion de sortir de Bangui pour découvrir l’intérieur du pays.

En sortant de Bangui, la route est bonne –si l’on en croit les critères centrafricains, c’est-à-dire qu’elle est bitumée et pleine de trous. Elle file droit, au milieu d’un paysage verdoyant et magnifique: des collines, de grands arbres, et très peu de voitures.

Cette absence de circulation routière explique peut être le fait que les villageois placent les morceaux de manioc à sécher à même le macadam… Je me demande si cette pratique est très conforme aux normes d’hygiène, et je ne peux m’empêcher de songer avec inquiétude au manioc que j’ai mangé quelques jours plus tôt...

Quelques kilomètres à peine après avoir quitté Bangui, notre convoi tombe sur un premier barrage –illustration de l’insécurité qui continue d’affecter les populations en Centrafrique. Les jeunes hommes, qui n’ont pas d’armes visibles, nous accordent à peine un regard, trop occupés à fouiller un taxi-brousse débordant de bagages et de passagers

Un second barrage. Un troisième. Un quatrième, le tout en moins de 40 kilomètres. Ce sont les seuls signes anormaux dans un paysage autrement paisible. Dans la voiture, j’écoute de la musique avec Bonaventure, le chauffeur. Je regarde la route défiler. De petites maisons de brique ocre, des enfants qui courent, quelques vélomoteurs transportant chacune au moins trois passagers et leurs bagages.

Arrive le cinquième barrage, et celui-là est différent. Il est tenu par une demi-douzaine de miliciens anti-balakas armés de fusils de fabrication locale, taillés dans des morceaux de bois et des tubes de métal. Des fusils qui ressemblent à des jouets, mais des armes qui peuvent tuer. L’un des hommes porte un bonnet de laine aux couleurs du club de football de Chelsea, avec par-dessus un casque deux fois trop grand pour lui, qui pourrait laisser penser qu’il a une marmite sur la tête. Un autre a une écharpe de laine étrangement nouée autour de la tête –le tout par plus de 30° à l’ombre.

“Faites attention devant", disent-ils. "Quelqu’un a été tué, il y a des combats à quelques kilomètres". Impossible évidemment de savoir s’il dit vrai, ou s’il vient d’inventer cela en nous voyant.

Quelques kilomètres plus loin pourtant, il est clair que l’anti balaka disait vrai. Une longue file de plus de cinquante camions à l’arrêt bloque la route. C’est le convoi bi hebdomadaire en direction du Cameroun, le cordon ombilical qui relie Bangui au reste du monde, la seule voie de ravitaillement terrestre.

De là où nous sommes, nous ne pouvons pas savoir ce qui se passe exactement. Mais au travers de la radio de bord, les collègues chargés de la sécurité à Bangui nous demandent de faire demi-tour et de rentrer séance tenante.

Nous voici donc de retour au bureau, un peu penauds, moins de trois heures après l’avoir quitté. Les collègues, à l’intérieur du pays, devront attendre encore un peu pour les biscuits et les journaux qu’on espérait leur apporter…

"C’est impossible de prévoir les choses avec certitude ici", dit un collègue. "les emplois du temps sont toujours gouvernés par les imprévus"

Et il a parfaitement raison.