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Les ruptures d’antirétroviraux ne favorisent pas la PTME

Countries
Côte d'Ivoire
Sources
IPS
Publication date
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Fulgence Zamblé

ABIDJAN , 30 oct (IPS) - Au centre de santé communautaire de Cocody-Anono, au sud-est d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne, Bertine Bahi*, 32 ans, est assidue aux séances de sensibilisation sur la Prévention de la transmission mère-enfant (PTME) destinée aux femmes séropositives.

Dépistée séropositive, il y a deux mois, elle porte une grossesse de 20 semaines en octobre, mais Bahi n’a pas dévoilé son statut sérologique à son époux. ''En dépit des conseils de la sage-femme, c’est difficile d’en parler à mon mari. Si je le fais, je prends la porte'', affirme Bahi à IPS. ''Pour le moment, quand il y a des antirétroviraux (ARV) disponibles, je les prends en cachette à la maison''.

Suzanne Asseman*, 37 ans, ménagère à Agboville, dans le sud de la Côte d’Ivoire, a dû se rendre à Abidjan pour recevoir des ARV. Elle connaît son statut sérologique depuis juin 2012. Mais, lorsqu’elle a reçu sa dotation du mois d’octobre en ARV, elle venait d’en manquer pour cinq semaines de traitement.

Enceinte de sept mois, Asseman a toujours patienté une à deux semaines pour obtenir ses médicaments. Mais cette fois, l’attente a été longue. ''C’est difficilement que j’ai accepté de prendre des ARV. Et là où j’étais, les médicaments arrivaient en état de péremption. Je me dis qu’au lieu de continuer à courir après, je préfère arrêter'', confie-t-elle à IPS.

La stigmatisation connaît un regain et les ruptures régulières des ARV compliquent un peu plus la tâche aux patientes, souligne Rolande Yao, assistance sociale dans un centre de PTME à Attécoubé (centre d’Abidjan).

Selon Yao, le dépistage des femmes enceintes a souvent des effets négatifs dans des couples. ''Lorsqu’un homme est informé du statut sérologique positif de sa femme, il la soupçonne d’être infidèle'', déclare Yao à IPS. ''Non seulement il refuse de se faire dépister lui-même, mais aussi, il répudie la femme''.

Yao indique que sept femmes sur dix, sont confrontées à la répudiation et malgré les interventions du personnel médical, elles ne sont plus acceptées par leur mari.

Selon l’assistance sociale, l’une des conséquences de cette situation est que très souvent, des femmes enceintes dépistées séropositives, changent de site de consultation - volontairement ou non - et refusent le dépistage dans le nouveau centre de santé où elles se rendent.

La stigmatisation est telle que de nombreuses femmes enceintes dépistées préfèrent garder le silence. Une fois dépistées séropositives, certaines femmes ''deviennent des cas perdus'' parce qu’elles échappent au contrôle médical rigoureux, ajoute Yao.

Selon Cyriaque Ako, coordonnateur du projet 'Mother to Child', initié par un consortium d’ONG basées à Abidjan, ces cas perdus se retrouvent généralement chez des guérisseurs traditionnels.

A Yopougon, la commune la plus peuplée du pays, ces femmes préfèrent aller chez des guérisseurs, rapporte Ako, dont le projet vise à ramener, depuis deux ans, 15.000 ménages des quartiers précaires vers des centres de santé et de dépistage volontaire.

Il explique l’attitude de ces femmes par le fait que la politique de la PTME n’est pas encore accessible à la majorité des femmes enceintes. ''Ce sont 56 pour cent des sites de consultation qui n’offraient pas de services de PTME depuis 2010'', souligne Ako.

Dans son rapport 2013 sur les progrès réalisés contre le SIDA, l’ONUSIDA indique qu’en Côte d’Ivoire, trois femmes enceintes sur dix, vivant avec le VIH, ne reçoivent pas d’antirétroviraux. Et 17 pour cent des décès maternels sont dus au VIH.

Le ministère de la Santé, dans un rapport national 2012 indiquait que des progrès notables ont été réalisés dans la PTME, avec l’accès gratuit aux ARV en Côte d’Ivoire. Le ministère affirme que 50 pour cent des femmes enceintes séropositives reçoivent actuellement des ARV, contre 46 pour cent en 2010. Et le nombre de sites offrant les services de PTME est passé de 554 en 2009 à 652 en 2010.

Selon l’ONUSIDA, le nombre de personnes séropositives est de 450.000 environ en 2013, dont la moitié sont des femmes, tandis que le taux de prévalence du VIH se situe à 3,2 pour cent dans ce pays d’Afrique de l’ouest, peuplé de quelque 20 millions d’habitants.

Mais, les organisations anti-SIDA constatent que depuis la fin de la crise postélectorale de 2011-2012, les personnes vivant avec le VIH semblent abandonnées. Elles tirent régulièrement la sonnette d’alarme sur les ruptures répétées d’ARV.

L’une des principales causes de la pénurie d’ARV, selon les ONG, a été la désorganisation du système sanitaire pendant une décennie de crise politique après une rébellion armée dans le nord et l’ouest du pays, et en particulier pendant la guerre civile postélectorale (2010-2011).

A cette période, les ports ivoiriens - Abidjan et San Pedro - étaient sous embargo, comme les armes aussi, afin de contraindre l’ancien président Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir après son échec électoral. Conséquence: les médicaments commandés en Europe ne pouvaient plus être acheminés en Côte d'Ivoire. Ensuite, pendant les affrontements, plusieurs infrastructures sanitaires ont été pillées et fermées momentanément, selon les ONG.

''Nos conseillers communautaires et les médecins prescripteurs sont obligés de mentir aux patients car il n'y a pas assez d’antirétroviraux disponibles à la Pharmacie de la santé publique'', explique Yaya Coulibaly, président du Réseau ivoirien des personnes vivant avec le VIH (RIP+), basé à Abidjan. Même la Névirapine 200, prescrite généralement pour les femmes séropositives enceintes, est en rupture de stock, dit-il.

Coulibaly admet cependant que par moments, des ARV sont disponibles en abondance dans certains centres de santé et en rupture dans d’autres, ce qui pose un problème de distribution. Au ministère de la Santé, ajoute-t-il, une réforme de la pharmacie publique est en cours pour réorganiser la distribution des ARV.

Après l’accouchement, l’allaitement maternel exclusif ou l’allaitement au lait artificiel sont proposés aux mères séropositives, selon une sage-femme, malgré la préférence de l’UNICEF pour l’allaitement maternel exclusif. Mais, à cause des problèmes financiers pour acheter du lait artificiel, les femmes préfèrent l’allaitement maternel, même s’il n’est pas toujours exclusif.

Louis Vigneault-Dubois, chargé de communication à UNICEF-Côte d’Ivoire explique à IPS: ''En dépit de la stigmatisation, nous préconisons toujours l’allaitement maternel exclusif sur six mois, pour mieux protéger la mère et l’enfant. Mais nous savons que cela est difficile''.

Aminata Bamba*, 45 ans, est séropositive, dépistée au huitième mois de sa quatrième grossesse. Dans un centre de PTME de Cocody à Abidjan, avec son bébé de quatre mois séronégatif, elle indique à IPS: ''J’ai opté pour un allaitement exclusif au sein. Au départ, ce n’était pas facile, mais le suivi des sages-femmes m’a aidée à continuer... J’espère aller jusqu’au bout''.

*Ce sont des noms d’emprunt pour protéger l’identité des personnes. (FIN/2013)